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Archive for the ‘Chocs esthétiques’ Category

J’ai beau savoir que je vais découvrir de nouveaux livres d’ici la fin de 2017, il y en a un, parmi tous ceux que j’ai lus depuis le premier janvier, qui me reste en mémoire. Et je sais déjà, peu importe ce que je vais lire dans les trois prochains mois, que c’est lui qui me restera en tête comme ma lecture la plus marquante de l’année. Voire une des lectures les plus marquantes de ma vie, tout court.

Aujourd’hui, j’avais envie d’écrire sur les claques littéraires, ou plus précisément les livres qui changent votre vie et (ou) votre vision du monde. J’ai déjà parlé de quelques lectures qui ont été déterminantes pour moi dans mon article sur les chocs esthétiques. Des livres qui, au même titre que des albums ou des films, ont contribué à forger mon style d’écriture, mon univers et plus globalement ce que je suis. Ceux dont je veux parler ici sont aussi importants, mais suivent une logique légèrement différente. Il ne s’agit pas de livres que je pourrais mettre dans un portrait chinois, si jamais on me demandait « Si tu étais un livre… ». Ce sont des livres qui, une fois refermés, m’ont fait voir le monde différemment, sans retour en arrière possible. On parle parfois de romans qui ont « changé la vie » des gens. Je ne sais pas si ceux dont je vais parler obéissent à cette règle, mais ce qui est certain, c’est que je ne m’en suis pas remise.

Il y en aura certainement d’autres au cours de ma vie, mais à vingt-six ans, ces livres sont deux : A rebours de Joris-Karl Huysmans, et Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski.

J’ai découvert A rebours pendant ma glorieuse troisième année de licence. C’est une période dont je me souviens toujours avec beaucoup de plaisir, parce qu’elle est digne d’un véritable roman. En suivant des études de Lettres et Théâtre, en baignant dans la littérature romantique à longueur de journée et en me pavanant en chemise/veste/chapeau, tomber sur Huysmans était difficilement évitable. A l’époque, j’écoutais énormément de musique anglaise. Parmi les dieux du foyer de Narcissus Castle (ainsi avions-nous baptisé notre appartement étudiant avec ma coloc), nous avions le duo de musiciens Carl Barât et Peter Doherty. Écouter les Libertines aujourd’hui nous ramène immanquablement à cette période – sans nostalgie, pour ma part, parce que j’estime que c’est un frein et une perte de temps. Nous connaissions leur œuvre par cœur et ces messieurs nous ont, sans le savoir, fait élargir nos horizons littéraires. Que ça soit quand ils composent ensemble (au sein des Libertines), en solo ou dans leurs groupes respectifs, Carl Barât et Peter Doherty adorent les références. C’est ainsi que j’ai découvert la chanson A rebours, des Babyshambles (le groupe de Doherty), qui piquait son titre à un roman français décadent du XIXème siècle. Il n’en fallait pas plus pour me tenter – si ce n’est apprendre qu’Oscar Wilde avait lui aussi admiré l’ouvrage. Je l’ai emprunté, et je n’oublierai jamais les circonstances dans lesquelles je l’ai lu. Pendant un week-end, ma famille a décidé de passer le week-end dans un grand hôtel à la frontière espagnole. C’est dans le sous-sol de cet hôtel luxueux, installée dans un grand fauteuil en cuir, que j’ai dévoré A rebours. Je ne suis jamais retournée dans un tel lieu et j’ignore si ça arrivera, mais le souvenir de cette lecture est gravé dans mon esprit, indissociable du livre lui-même.

A rebours, c’est l’histoire de Des Esseintes, un jeune homme lassé du monde qui décide de se retirer dans une maison, loin de la ville. Là, il esthétise son existence à l’extrême. Livres raffinés et dangereux, reproductions de tableaux, parfums, fleurs vénéneuses et expériences étranges : Des Esseintes crée autour de lui un monde où règne la beauté et s’isole à l’intérieur. La fin n’est pas vraiment un spoiler en soit (est-ce vraiment une fin ?), alors la voici en une phrase. Des Esseintes finit par se rendre compte que son style de vie commence à le tuer et, déçu, décide de revenir à la civilisation.

C’est un postulat très simple, et presque une non-intrigue. A rebours peut rebuter plus d’un lecteur à cause de son côté « catalogue ». Pendant de longs chapitres, Huysmans décrit les collections de Des Esseintes, le tout à travers les yeux de son héros. Le roman a apparemment cartonné auprès des jeunes artistes à sa publication, en 1884, et semble toujours avoir le même effet plus d’un siècle plus tard. (Récemment, j’ai vu une interview d’Umberto Ecco qui exhibait fièrement sa première édition d’A rebours : il l’avait adoré à vingt ans et souhaitait en avoir une copie.)

J’ai lu A rebours une fois, et j’ignore si je le relirai un jour. Mais je me souviens de l’impression qu’il a produit sur moi, et de ce que j’ai ressenti en le refermant. Je savais que quelque chose avait changé, et je n’ai plus vu le monde tout à fait de la même façon. Peut-être avais-je perdu deux ou trois illusions au cours de ma lecture. A rebours est un livre peu accessible, qu’il faut ouvrir avec prudence…

A l’inverse, Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski a été une lecture dont je peux dire avec exactitude pourquoi elle m’a marquée. (Ce qui suit ne comporte pas de spoilers.) Je l’ai lu pendant la première moitié de cette année, en avril ou en mai. D’abord, petite remise en contexte. La première fois que j’ai eu vent de ce pavé de 975 pages, je cherchais des infos sur la sortie (sans arrêt repoussée) du tome 4 des Salauds Gentilshommes. Je suis tombée sur cette excellente critique de Gagner la guerre qui faisait des parallèles entre les univers des deux romans. La chronique s’ouvrait comme suit : « Je suis un gros connard prétentieux qui pense que les bons livres de Fantasy se comptent sur les doigts de la main. Je suis même un gros connard prétentieux qui pense que la littérature française est une fange au passé simple qui a oublié ses glorieuses heures pour se bâfrer dans les immondices de l’autofiction sans imagination ». Je l’admets, je ne suis pas loin de partager cet avis, l’auteur de l’article avait donc toute mon attention. Il a réussi à me convaincre d’acheter Gagner la guerre, et c’était la première fois que je lisais un aussi gros pavé d’un coup depuis David Copperfield de Dickens. (Donc, sacrément longtemps. Presque dix ans, en fait.)

gagner la guerre

Et hop on saute ! Rien que de me souvenir du passage illustré par cette couverture me donne envie de vanter ce livre grandiose.

D’une part, ça m’a réconciliée avec les pavés, auxquels je me suis remise depuis. De l’autre, ça m’a fait vendre ce bouquin à la Terre entière une fois sortie de ma lecture. Je ne sais pas ce que je lirai d’ici la fin de l’année – même si j’ai beaucoup d’envies et une liste de lecture longue comme le bras. Mais je sais que Gagner la guerre est ma claque de 2017, et qu’elle a eu un effet positif sur moi. Pourtant, ça peut paraître paradoxal, puisque son personnage principal, Don Benvenuto, est un anti-héros notoire. Pour la faire courte, Gagner la guerre, c’est…

Une histoire qui prend place à Ciudalia, l’équivalent de Venise période Renaissance dans un monde de Fantasy. La ville vient de gagner la guerre, et elle doit assurer sa position. Comprendre : être le théâtre de quelques coups tordus, et opérer le nettoyage de rivaux potentiels. Don Benvenuto est le meilleur tueur à gages du royaume, et il sera votre guide (peu recommandable) dans cette folle équipée.

J’aimais déjà l’idée, mais je crois que ça a été le coup de foudre dès les premières pages. On vante beaucoup la plume de Jaworski, à juste titre. Don Benvenuto étant le narrateur, son cynisme, son argot et sa flamboyance traversent toute l’œuvre. On le quitte jamais, et Jaworski arrive à nous faire ressentir tout ce que son héros traverse : quand il est blessé, qu’il souffre physiquement, on souffre avec lui. Mais c’est aussi piégeux, puisque Benvenuto est un anti-héros… et que le lecteur l’accompagne aussi quand il commet le pire. Même celui qu’on ne peut pas approuver, et qu’on ne veut surtout pas voir. A tel point que j’ai dû reposer le livre à un moment précis de l’intrigue, pour entrer dans un dilemme d’une demi-heure : est-ce que je peux continuer à m’attacher à un héros qui vient de commettre une atrocité pareille ?

Mais j’étais dedans, j’étais fascinée par l’univers et le héros, je suis donc allée au bout de ma lecture. J’ai lu Gagner la guerre en deux semaines et demi – et j’ai rattrapé mon retard en lecture hebdomadaire en lisant trois bouquins la semaine suivante. Je suis ressortie du roman, de cette immersion totale, avec une question : et maintenant ? Soit la marque d’un grand livre. Quitter un tel univers et devoir reprendre le cours de ma vie comme si de rien n’était… était impossible. Parce que, aussi répréhensibles soient les actions de Benvenuto, j’avais passé plus de quinze jours en sa compagnie. Et Dieu sait qu’en 975 pages, on avait vécu de sacrés trucs.

Je crois que la meilleure chose que je puisse dire sur Gagner la guerre et l’effet qu’il a eu sur moi, c’est que j’en suis ressortie grandie.

C’est un livre qui m’a rendue plus courageuse, plus sûre de moi et plus déterminée. Chose amusante, je l’ai lu en pleine période des présidentielles, et ça m’a permis de mieux comprendre et analyser ce qui se passait. Car Gagner la guerre est fortement influencé par Machiavel, et les stratégies politiques de certains personnages sont brillamment décrites. La stratégie, parlons-en : c’est une capacité que j’ai dû – par la force des choses – apprendre à développer, et je pense que ce roman n’y est pas pour rien.

Quand je vante Gagner la guerre, je préviens certaines personnes : le livre est dense et exigeant, et Don Benvenuto est tout sauf un modèle à suivre. (Sauf au niveau de la capacité de survie et des aptitudes de duelliste, peut-être.) Mais le voyage vaut le détour. J’avais prévu de lire des livres qui font voyager cette année, de grandes aventures, et celle-ci est assurément la plus marquante.

Irez-vous à la rencontre de Des Esseintes et Don Benvenuto ? Le choix vous revient.

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louis de pointe du lac

– Je vois…, dit le vampire d’un air pensif.
Puis lentement, il traversa la pièce pour aller se poster à la fenêtre. Il y resta un long moment; sa silhouette se découpait sur la clarté diffuse qui émanait de Divisadero Street et sur les rayons des phares des automobiles. L’ameublement de la pièce apparaissait maintenant plus clairement au jeune homme : la table de chêne ronde, les chaises. Contre l’un des murs, il y avait un lavabo surmonté d’un miroir. Il posa sa serviette sur la table et attendit.
– De combien de bandes disposez-vous ? demanda le vampire en tournant la tête de manière à offrir son profil au regard du jeune homme. Assez pour l’histoire de toute une vie ?
– Certainement, si c’est une vie intéressante. Quand j’ai de la chance, il m’arrive d’interviewer jusqu’à trois ou quatre personnes le même soir. Mais il faut que l’histoire en vaille la peine. C’est normal, non ?

– Anne Rice, Entretien avec un vampire (1976) –

Cet incipit est sans doute celui qui m’est le plus familier. Parfois, quand j’entre dans une librairie, je me dirige vers la section Fantastique, je prends un exemplaire d’Entretien avec un vampire et je le feuillette. C’est exactement comme saluer un vieil ami – même si, depuis, le livre est vendu dans nouvelle traduction qui n’est plus tout à fait la même que celle que j’ai mise ici.

J’ai parlé plusieurs fois d’Anne Rice et de son roman Entretien avec un Vampire ici, et j’ai publié sur ce blog plusieurs histoires de vampires (au moins quatre au cinq, voici les liens de mes préférées). Cette fois, j’ai eu envie de consacrer tout un article à son héros, Louis de Pointe du Lac. Dans la saga des Chroniques des vampires (à laquelle j’ai consacré un article), tout le monde n’a d’yeux que pour Lestat, ou Armand, ou même Marius, tiens. Louis reste un personnage très sous-estimé au sein du fandom et du grand public en général.

Je n’ai jamais compris pourquoi. Bien sûr, Louis n’a pas la flamboyance d’un Lestat ni le je-m’en-foutisme absolu d’un Armand. (Je schématise à l’extrême : je connais les personnalités des deux gars, on se fréquente depuis quinze ans, mais ce n’est pas sur eux que j’écris aujourd’hui.) Je pense que pour expliquer comment j’ai rencontré le sieur Louis de Pointe du Lac, je dois opérer une petite remise en contexte.

entretien avec un vampire 1

Quand j’étais petite, il y avait à la maison la cassette vidéo de L’Étrange Noël de Mr Jack, enregistré sur Canal +. (Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, etc.) Juste avant que le film ne démarre, la chaîne avait montré la bande-annonce du film Entretien avec un Vampire de Neil Jordan, qu’elle allait bientôt diffuser. J’avais quatre ans, j’étais évidemment bien trop petite pour le voir, mais le titre et les quelques images que j’avais vues m’avaient intriguée. Puisqu’on m’avait dit que j’aurais le droit de le regarder « quand je serai plus grande », j’ai pris mon mal en patience et j’ai attendu. Pendant sept longues années. À onze ans, j’ai reçu le film pour mon anniversaire.

Premier choc : contrairement à ce que l’affiche vendait, ce n’était pas Lestat/Tom Cruise qui était le héros du film, mais bien Louis/Brad Pitt – quand je vous dis qu’on sous-estime le bonhomme. Quoi qu’il en soit, ça a été l’amour entre Louis et moi au premier regard, j’ai acheté et dévoré le roman ensuite et… le reste appartient à l’Histoire, comme on dit. Je dis souvent que le livre et le film m’ont fait découvrir le romantisme et ont été une influence majeure sur l’univers de mes histoires. (Avec le recul, je pense effectivement qu’ils ont été une porte d’entrée, mais que s’ils ne l’avaient pas été, une autre œuvre aurait tenu exactement le même rôle. Si je regarde les lectures et les films que j’aime depuis petite, c’était évident que j’allais finir dans cet univers à un moment donné. Tous les signes étaient là.)

Au fil du temps, j’ai rencontré d’autres personnes – assez peu, il est vrai – qui ont lu Entretien avec Vampire et les livres de la saga. J’ai surtout lu les critiques et les réactions des gens sur Goodreads et Tumblr, entre autres. J’ai regardé – et regarde toujours – des fanarts des personnages sur Deviantart. J’ai pu constater que Louis était l’un des personnages principaux des Chroniques qui suscitait le moins d’enthousiasme parmi ses collègues. Il est temps de lui rendre justice.

entretien avec un vampire 2

Premièrement, Louis pose des questions. Il s’interroge sur l’origine des vampires, les notions de Bien et de Mal, l’existence de Dieu, sa propre raison d’être… et il ne le garde pas pour lui. Il échange, discute, confronte les points de vue. Plutôt que de se la jouer vampire qui se la pète mais qui n’en mène pas large au fond, il assume le fait de n’avoir aucune réponse et d’en chercher. C’est cet aspect-là, surtout, qui me touche chez lui. Cette volonté d’aller plus loin, d’être toujours en quête de réponses et de savoir.

Deuxièmement, s’il est respectueux envers ses aînés (pas comme certains, suivez mon regard vers un blondinet à canines dont le nom commence par L-E-S…), ça ne l’empêche pas de s’opposer à eux quand quelque chose lui semble particulièrement injuste. Il est peut-être celui qui a le moins de pouvoirs parmi ses potes – on y reviendra –, mais au moins, il a du cran. Il est d’autant plus méritant de s’opposer à des vampires millénaires qu’il sait parfaitement qu’il est très vulnérable, et qu’ils pourraient le mettre en pièces en deux secondes. Comme il fait preuve de tact et qu’il est diplomate, il s’en sort. N’oublions pas qu’il est fondamentalement généreux, chaleureux, et que c’est un individu digne de confiance. Bref, un type bien. Même si les choses sont un peu plus compliquées que ça, évidemment.

Troisièmement, c’est un amoureux des livres. Plusieurs passages des Chroniques des vampires montrent Louis en train de lire. Je me souviendrai toujours de ce passage, dans Lestat le Vampire, où Armand lit à toute allure des livres avant de les jeter par terre l’un après l’autre. (C’est, certes, pendant une scène de tension.) Louis, au contraire, est du genre à passer toute la nuit dans un fauteuil confortable en bouquinant au coin du feu. Ça peut paraître négligeable, mais c’est un aspect de sa personnalité que j’aime beaucoup.

Et j’en viens à sa caractéristique principale, que j’ai tue jusqu’ici parce qu’on la rabâche sans arrêt dans la série des Chroniques : Louis est montré comme le plus humain des vampires. Même si, au cours de la série, il accepte son immortalité et sa condition de vampire, Louis reste très attaché à sa nature humaine. C’est d’ailleurs une grande partie de la problématique d’Entretien avec un Vampire, et ce pourquoi il y est l’objet des moqueries de Lestat. Ce dernier a embrassé sa nature vampirique dès les premières nuits, et voit sa condition comme une bénédiction – en tout cas au début. Louis, quant à lui, tient à conserver des sentiments humains et la possibilité de mourir s’il le souhaite. Avoir trente-six mille pouvoirs et être résistant au feu ne l’intéresse pas. C’est pourquoi il refuse de boire le sang des vampires les plus anciens, afin de conserver tout ce qui fait qu’il est… lui. De rester proche de ce qu’il était en tant que mortel. Ce refus obstiné de devenir plus puissant provoque d’ailleurs une certaine fascination chez ses pairs. Si Lestat tombe amoureux de tout le monde, beaucoup des vampires des Chroniques tombent amoureux de Louis, ou sont en tout cas captivés par lui. Précisément parce qu’il est le plus humain d’entre eux.

entretien avec un vampire

(Dans Merrick, Anne Rice a finalement fait en sorte que Louis boive – bien malgré lui – un sang ancien, supposé le ramener à la vie après son suicide. En revanche, Louis conserve sa part d’humanité et n’en réclame jamais à nouveau.)

Cependant, Louis de Pointe du Lac n’en reste pas moins un vampire, et un vampire qui doit tuer pour survivre. Même si l’idée le révolte au début, il s’y résigne, et il excelle en la matière. « Il paraissait à la fois mortel et délicat. Ses victimes l’avaient toujours adoré », peut-on lire dans Lestat le Vampire. C’est un paradoxe qu’on retrouve dans les premiers livres des Chroniques. Il s’atténue un peu (et c’est bien dommage) par la suite, lorsque les vampires s’emploient à ne tuer que les humains « malfaisants ». Ce qui en fait des sortes de justiciers un peu étranges, à la réflexion. Aussi généreux et compréhensif soit Louis, sa nature est celle d’un tueur impitoyable. Dans les premiers tomes, cette ambiguïté est mise en avant à plusieurs reprises, puisque Louis se nourrit des humains qui croisent sa route, qu’ils soient innocents ou non. On est donc très loin d’un héros manichéen. (D’ailleurs, ses relations avec Claudia et Armand, décrites dans Entretien avec un Vampire, contribuent à le rendre éminemment compliqué et à l’éloigner de tous les clichés du vampire prévisible et mièvre.) Même s’il paraît plus simple à définir que son acolyte Lestat, Louis est tout aussi complexe. Tous deux représentent une facette différente du romantisme. Pourtant, Louis est probablement celui qui l’incarne le mieux, à travers ses contradictions, ses questionnements et sa nature ténébreuse qu’il considère comme un fardeau, même s’il s’en accommode au fil des années.

louis2

Enfin, et je le place en dernier parce que c’est un point presque superficiel, Louis est beau. « Normal, c’est un vampire », direz-vous. Peut-être, mais quand vous avez douze ans et que vous lisez la description d’un jeune homme au teint pâle, aux longs cheveux noirs bouclés et aux yeux verts qui s’avère être immortel, ça fait son petit effet. Ne crachons pas dans la soupe, Brad Pitt l’incarne à la perfection dans le film Entretien avec un Vampire, même s’il a déclaré que le tournage avait été un calvaire pour lui. Merci de l’avoir vécu, Brad. Je l’ai dit au début de cet article, mais j’aime beaucoup regarder des fanarts de Louis. Je revois aussi le film régulièrement, et Entretien est un des rares livres que j’ai relu (et relirai) plusieurs fois : mon impression est toujours la même. Mon amour pour cette histoire et son héros ne s’est pas atténué. Même si j’ai découvert énormément de choses depuis et que j’ai agrandi mes horizons, je retourne toujours à cette œuvre. Il y en a qui ont une importance si grande dans votre vie qu’elles font partie de vous, de votre personnalité. Elles ont contribué à faire de vous ce que vous êtes.

Oscar Wilde parlait souvent de la mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères des courtisanes comme de l’une des plus grandes tragédies de son existence, qui l’a fait pleurer lorsqu’il était adolescent et qu’il n’a jamais oubliée. Il exagérait un brin, bien évidemment, mais il y a toutefois un fond de vérité dans ses propos. Lucien était le héros préféré de Wilde – avec Julien Sorel –, et les deux livres de Balzac où il apparaît l’ont profondément marqué. Il les a relus tout au long de sa vie. Je pense que j’entretiens une relation tout aussi forte avec le personnage de Louis de Pointe du Lac, vampire de son état.

Cet article lui est dû.

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Pour une fois, je vais écrire sur un sujet dont je sais encore peu de choses. D’ordinaire, quand j’écris sur les auteurs ou les musiciens que j’aime, je connais déjà leur biographie par cœur, je peux citer au moins trois de leurs travaux fondamentaux et le nombre d’années qu’ils ont passées à l’école.

J’exagère, mais c’est l’idée.

Ce ne sera pas le cas avec l’artiste dont je vais parler aujourd’hui. Trent Reznor a une œuvre très importante, mais à ce jour, je connais seulement deux EP et cinq albums du monsieur. C’est peu, je le concède, mais assez pour décréter, avec un émerveillement encore étonné :

CHOC ESTHÉTIQUE.

Je suis indécrottable, mais chaque fois que je vis un choc de ce genre, je me dis toujours que j’ai atteint une strate et que rien ne pourra m’émerveiller davantage. Je ferai d’autres belles découvertes, bien sûr, mais rien qui atteigne le niveau d’un Guy de Gisborne ou d’un Black Rebel Motorcycle Club. (Pour n’en citer que quelques uns.)

Bon, je ne sais plus du tout pourquoi je me suis mise à écouter Nine Inch Nails. Je me souviens qu’au lycée, plusieurs élèves avaient inscrit les initiales du groupe au blanco sur leur sac à dos. J’ai eu ma (petite) période metal, mais je ne me suis jamais penchée sur le cas du groupe de Trent. Pardon, de Mr Reznor.

Ah oui ! Je me souviens. J’avais lu une critique d’un concert de NIN sur Visual Music, qui mentionnait notamment la chanson The Warning en ces termes : « The Warning sera un orgasme pour amateur de glitch, d’électro furieuse et de déhanchés chaloupés. (…) C’est assez énorme et je peux vous assurer que plus d’une femme au premier rang y aura succombé. »

J’aime beaucoup le rock dès qu’il se fait sombre et sensuel : ni une ni deux, je suis allée chercher ladite chanson sur Youtube. Qui tient en fait plus de l’electro que du rock, mais passons. Et voilà, j’étais officiellement fichue. C’est aussi simple que ça. Je suis allée écouter l’album Year Zero dans la foulée, que j’ai aimé du début à la fin. Plus encore, Year Zero contenait tout ce que je recherchais dans la musique en cet instant T, et que je ne trouvais nulle part ailleurs : les idées, la sensualité, la beauté et la simplicité.

Je sais déjà que cette phrase soulève un paradoxe : si la musique de Trent Reznor paraît simple au premier abord, elle est en fait extrêmement travaillée. Ce qui paraît dépouillé, habillé de quelques notes de piano et d’une boîte à rythmes, est en fait le fruit d’une véritable recherche sonore.

Il suffit d’écouter la BO de The Social Network, signée par Reznor en collaboration avec son ami Atticus Ross, pour s’en rendre compte. (BON SANG MAIS QUELLE BO.)

Et puis j’aime bien : même au cœur d’albums sombres…
(Attention : Carbon Prevails de The Social Network est en train de passer dans mes écouteurs et j’ai dû m’arrêter pendant une minute pour écouter ce piano. Ce piano. Parce que oui, Trent Reznor est pianiste de formation.)
Donc, disais-je, même au cœur d’albums sombres, Reznor est capable d’écrire des morceaux lumineux, beaux, capables de vous réconcilier avec l’humanité. In This Twilight, par exemple.

A Lyon, il y a un pont sobrement nommé le Pont de l’Université. J’aime le traverser à toute heure, particulièrement quand le soleil est sur le point de se coucher : la vue est incroyable. Avant-hier, le morceau In This Twilight passait sur mon samsung à ce moment-là. C’était Beau. Avec une lettre majuscule parce que l’adjectif doit être pris dans son sens premier.
Le lendemain, ma sœur m’a fait découvrir un remix de ce morceau. C’est magnifique, et si vous êtes déprimés, c’est à écouter maintenant tout de suite :

Quoiqu’on en dise, la musique de Reznor ne pousse pas dans les profondeurs de la dépression. Même si on écoute The Downward Spiral, qui retrace la descente aux enfers d’un homme, ce n’est pas une raison pour y plonger. C’en est plutôt une pour se sentir moins seul. A ma grande frustration, je n’arrive plus à retrouver l’interview où le sieur Reznor explique que sa musique n’a jamais été faite pour inciter quiconque au suicide, mais pour dire qu’il avait lui aussi connu des périodes extrêmement sombres.

A la différence des chansons d’un Jack White – qui disent à l’auditeur de se bouger, d’agir là, maintenant, tout de suite –, celles de Reznor sont plutôt un appui quand tout va mal. Et Dieu sait que le bonhomme s’y connaît en la matière.

Un certain nombre des fans de la première heure de Reznor, d’ailleurs, auraient préféré que le musicien reste malheureux toute sa vie et continue à faire ce qu’ils considèrent comme une meilleure musique que celle que le bonhomme produit depuis son mariage.
En 2009, Trent Reznor a en effet épousé (la déesse) Mariqueen Maandig, avant de lui faire deux enfants et de remporter un Oscar pour la BO de The Social Network. Depuis, il a composé les BO des deux films suivants de David Fincher, sorti deux EP et un album avec le groupe fondé avec sa femme, How To Destroy Angels, ainsi qu’un nouvel album de NIN. Il est heureux, tout va pour le mieux et Trent avoue ne pas du tout avoir envie de revenir à l’état psychologique où il se trouvait 20 ans plus tôt. Compréhensible.

C’est peut-être parce que je viens juste de débarquer en tant qu’adepte de Reznor, mais j’aime beaucoup son travail récent. (Non, je ne regrette pas d’avoir manqué la période où il avait les cheveux longs et faisait tourner les têtes – pour plus de détails, je vous laisse regarder le clip de Closer. En 2014, il a toujours une voix sensuelle en diable et ça me va très bien.) How To Destroy Angels est un excellent projet à mon sens, la chanteuse est parfaite et, comme toujours, ça fourmille d’idées.

Effet direct de la musique du monsieur : c’est très, très inspirant. J’ai 36000 idées en écoutant ses albums et je n’ai qu’une envie, me remettre à bricoler des morceaux – bientôt, espérons. J’ai déjà évoqué mon groupe, The Venetian Sisterhood, sur ce blog, mais ça me donne une occasion de vous donner l’adresse de son bandcamp : http://thevenetiansisterhood.bandcamp.com/

Je sens qu’il faut conclure. Jetez-vous sur le premier EP de How To Destroy Angels et la BO de The Social Network. Quoiqu’on en dise, le dernier album de Nine Inch Nails, Hesitation Marks, reste une bonne façon de découvrir le groupe en douceur. Si vous n’avez pas froid aux yeux, passez direct à Year Zero (qui est devenu un de mes albums préférés, pas moyen). Et à toute la suite.

J’ai bien envie de revoir le Millenium de David Fincher ces temps-ci, et je sais que c’est la faute de Reznor. En tout cas, l’homme vient de rentrer dans le panthéon de mes héros. Il est la preuve vivante qu’on peut toujours s’en sortir et, bon sang, je commence à peine mon bout de chemin avec lui.

(Ci-dessous, une vidéo qui le montre enregistrer avec Dave Grohl et Josh Homme. De rien.)

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(I play a game ’til I’m dead.
Queens of the Stone Age – Era Vulgaris)

Il fait nuit à l’heure où je commence à écrire cet article. Ces heures vont bien à mon sujet, apparemment.

Depuis deux jours, je compulse les articles internet au sujet du Joker dans The Dark Knight de Christopher Nolan. Il y a de tout : des critiques, des débats sur des forums, des analyses psychologiques du personnage et même des essais universitaires. J’ai revu le film hier soir, après avoir résisté pendant des jours à la tentation. Bref, il est plus que temps de lui dédier un article.

Ce qui suit ne concernera pas le Joker des comics – même si j’y ferai référence une ou deux fois. Cet article sera uniquement consacré au Joker interprété par Heath Ledger.

Je pense qu’on peut analyser ce personnage indépendamment de son histoire dans l’univers des comics. Nolan a voulu donner sa propre version du Joker dans un film qui constitue lui-même une œuvre complète. Si je voulais désigner une version du Joker dans les comics qui se rapproche le plus de ce que nous montre The Dark Knight, ce serait probablement Joker de Brian Azzarello et Lee Bermejo. The Killing Joke d’Alan Moore est souvent cité aussi en raison de la violence dont le Joker y fait preuve, mais il reste pour moi différent de ce qu’on voit dans le film de Nolan. Quoiqu’il en soit, si vous n’avez lu aucune des deux œuvres, allez-y. Elles ont toutes deux le mérite d’être courtes et diablement efficaces.

J’ignore combien de fois j’ai vu The Dark Knight (un grand nombre), mais ce qui me frappe, c’est le peu que j’ai écrit sur le Joker en comparaison avec la fascination que j’ai pour ce personnage. Je crois que c’est parce que le Joker constitue un vrai mystère : on ne sait rien de lui.

En creusant, on peut trouver quelques éléments.

Pour comprendre comment a été construit le Joker dans The Dark Knight, je suis d’abord allée à la source : Christopher Nolan lui-même. Les trois influences artistiques qu’il revendique pour le personnage sont Alex dans Orange Mécanique, la peinture de Francis Bacon et le mouvement punk. L’allusion à Alex semble assez évidente : il suffit de comparer son regard avec celui du Joker pour avoir un début de piste.

Alex (Malcolm McDowell) dans Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971).

The Joker (Heath Ledger) dans The Dark Knight de Christopher Nolan (2008).

 

Les deux personnages ont leurs points communs : la violence, l’anarchie (et l’absence de morale ? peut-être pas selon leurs critères). La référence au punk coule de source aussi, mais celle à Francis Bacon est moins évidente au premier abord. Pourtant, en regardant les toiles de l’artiste, j’ai compris ce que Nolan avait pu y prendre pour le donner au Joker – même dans son maquillage. Quelque chose de douloureux, de torturé et surtout d’infiniment sombre. On dirait que ces toiles hurlent.

Trois autoportraits du peintre Francis Bacon (1909-1992).

Christopher Nolan a dit du Joker qu’il voulait qu’il incarne un absolu : c’est un individu complet. « On le voit transformer le monde, plutôt que lui-même », dit-il dans une interview. Dans ce même entretien, le réalisateur explique que le Joker est « pure evil through pure anarchy », et qu’il ne voulait pas l’humaniser. « On ne voulait pas montrer ses origines, montrer ce qui l’a rendu capable de faire ce qu’il fait, parce qu’il en serait devenu moins menaçant. »

Et c’est là que Nolan marque un point : ce qui rend le Joker si passionnant et si effrayant, c’est qu’on ne sait absolument pas pourquoi il est le Joker. On ne connaît pas son vrai nom, on ne sait pas d’où il vient et nous n’avons pas le moindre indice sur son passé.

Au cours du film, le Joker raconte deux histoires différentes sur la façon dont il a eu ses cicatrices. (D’abord au gangster Gambol, ensuite à Rachel Dawes.) Dans la première, c’est son père qui les lui a infligées, et dans la seconde, lui-même. Les deux histoires sont totalement différentes, et totalement fausses. Certains spectateurs penchent pour une version ou l’autre en la tenant pour authentique, mais je suis prête à parier qu’elles ne valent rien. Du reste, le Joker a failli raconter une troisième version à Batman lors de leur combat final avant que ce dernier ne l’interrompe. Et comme le dit Nolan, si on connaît les origines du Joker, il devient moins effrayant…

(J’en profite donc pour dire aux analystes qui écrivent que « c’est de la faute du père si le Joker est comme ça » : non. Aucune preuve n’est donnée dans tout le film. Même la réplique « You know, you remind me of my father. I hated my father. » que le Joker lance à un homme pendant la réception où il rencontre Batman ne vaut rien, à mon avis. C’est encore un trait d’humour sarcastique. Même dans la « version officielle » des origines du Joker écrite par Alan Moore dans les comics – et je l’appelle comme ça parce que c’est celle à laquelle on fait le plus référence – il n’y a pas l’ombre d’un papa.)

Ce qui nous ramène à la question n°1 : pourquoi le Joker est-il ce qu’il est ? Quelle est sa motivation ? Le seul indice nous est donné par Alfred, le majordome de Bruce Wayne/Batman : « Some men just want to watch the world burn ». Soit. SOIT. Certains s’en contenteront, d’autres non. Je fais partie de la seconde catégorie. La déclaration du Joker « I’m an agent of chaos » peut venir compléter celle d’Alfred.

Ceci dit, si on réfléchit à la première phrase… Elle peut s’avérer moins agaçante que prévu. Je ne sais plus où, quelqu’un a comparé le Joker à Loki. Pas à celui des films, à celui de la mythologie nordique – même si celui des films Marvel lui reste assez fidèle. La comparaison est juste : Loki est par excellence le dieu de la ruse, de la plaisanterie et, d’une certaine manière, un agent du chaos. (Pour plus d’information sur le God of Mischief, je vous renvoie à l’article que je lui avais consacré.) Loki a beau venir en aide – quand ça l’arrange – aux autres dieux lors d’aventures, il est aussi l’auteur de plaisanteries qui tournent mal, de meurtres parfaitement assumés et, à terme, c’est lui qui conduit l’armée des ombres lors de la fin du monde.

Loki et le Joker mentent. Ils ont sans arrêt recours à la ruse pour arriver à leurs fins. Dans The Dark Knight, le Joker ment à tous les personnages du film (il les manipule, pour employer un autre mot) sauf à Batman pendant la scène de l’interrogatoire. C’est sans doute la scène du film où il est le plus honnête. Après tout, il parle à son égal – j’y reviendrai.

Comparer le Joker à Loki, qui a été suranalysé, sur qui on sait énormément de choses, peut aider à y voir plus clair dans la personnalité du clown de Gotham. « Some men aren’t looking for anything logical, like money. They can’t be bought, bullied, reasoned, or negotiated with. Some men just want to watch the world burn. » D’accord, Alfred. On se contentera de ça.

Question n°2 : le Joker est-il fou ? La réponse pourrait couler de source, mais internet regorge d’articles et de débats assez passionnés sur le sujet. Un blogueur est même allé jusqu’à intituler son article Heath Ledger’s Joker is the Sanest Man in Gotham. Que le Joker soit lucide sur l’état du monde, que ses déclarations soient empreintes d’un accent de vérité indéniable, c’est un fait. Mais qu’il soit l’homme le plus sain d’esprit du film, j’en doute.

Une autre analyse publiée sur un forum explique que le Joker voudrait que les gens le pensent fou alors qu’il ne l’est pas. Ses costumes, son maquillage, son rire : tout constituerait un personnage créé de toutes pièces. Il ne rit que quand il se donne en spectacle, il est sobre le reste du temps, poursuit l’analyse et, preuve irréfutable que le Joker est sain d’esprit : il contrôle absolument toutes ses actions. C’est même le seul personnage de tout le film à contrôler ce qui se passe alors qu’aucun autre personnage – Batman, le commissaire Gordon, Harvey Dent – ne maîtrise quoi que ce soit.

C’est vrai, le Joker a toujours un coup d’avance. Il construit des plans extrêmement élaborés. (Tout le plan qui conduit à la destruction de Rachel Dawes et Harvey Dent, et permet au Joker de s’évader de prison, relève du pur génie.) Cependant, je suis en désaccord avec ces analyses : à aucun moment du film le Joker ne cherche délibérément à faire croire qu’il est fou. C’est même plutôt l’inverse : quand un des membres de la pègre (Gambol, toujours), l’accuse d’être fou, le Joker réplique : « No, I’m not. No, I’m not. » Sa discussion avec Batman lors de la scène de l’interrogatoire est éclairante : il démontre au justicier qu’il est son équivalent. (Ah, il y aurait tout un article à faire sur les antagonistes comme reflets des héros.) « See, I’m not a monster. I’m just ahead of the curve. »

Oui, le Joker dénonce l’hypocrisie des autres personnages tout au long du film, il est d’une lucidité effarante sur la situation et sur lui-même. Mais est-il sain d’esprit ? A cela, je réponds : avoir recours au meurtre de masse pour démontrer un point de vue, aussi véridique soit-il, ne rentre pas dans cette catégorie. Pour moi, le Joker est fou.

Un autre trait caractéristique du Joker dans The Dark Knight – et qui se retrouve aussi dans les comics, pour le coup – est son absence totale de peur. Il ne craint rien, pas même sa propre mort, ce qui le rend insensible à toutes les menaces qu’il peut recevoir. Comme il le rappelle à Batman qui le passe à tabac dans la fameuse scène de l’interrogatoire : « You have nothing, nothing to threaten me with! Nothing to do with all your strength! ». Il ne craint pas sa mort, ce qui me fait poser cette question : le Joker est-il suicidaire ou non ?

Ici, l’interprétation relève de chacun. Le désir de mort du Joker m’a semblé évident en sortant de la projection de The Dark Knight en 2008, et l’a toujours été depuis. Les avis divergent à ce sujet.

Dans le film, il y a trois scènes où le Joker cherche à provoquer sa propre mort. Disons, pour ne pas mettre le feu aux poudres, qu’il tente le diable. Rien de tel que des petits gifs pour les rappeler :

 

Vous vous rappelez ? Bon. Sur le forum dont j’ai déjà parlé, les gens interprètent ces scènes ainsi : si Batman tue le Joker, il brisera sa règle fondamentale, qui est de ne jamais tuer. Si le justicier tue le Joker, ce dernier triomphe, parce qu’il aura réussi à corrompre Batman. (D’où son rire quand Batman le pousse de l’immeuble avant de le rattraper.) Même chose pour Harvey Dent, le « chevalier blanc » de Gotham devenu Double-Face.

C’est une interprétation qui se vaut.

Cependant, j’ai toujours penché pour l’autre option : le Joker a un ardent désir de mort. Je pense qu’il n’a pas peur de mourir parce qu’il le désire. Il désire voir le monde réduit en cendres, mais s’il a l’occasion de se faire tuer en bonne et due forme, je pense qu’il acceptera gracieusement son sort. C’est une interprétation romantique du personnage – au sens littéraire du terme –, certes. Elle est partagée par au moins deux critiques, à ma connaissance. Je vais donc exhumer des références que je ne cite jamais ici, mais qui sont bien pratiques.

A la sortie de The Dark Knight, la comparaison entre le Joker campé par Heath Ledger et celui joué par Jack Nicholson en 1989 dans le Batman de Tim Burton était inévitable. En fouillant dans mes archives, j’ai retrouvé un hors-série des Inrocks sur Burton où on pouvait lire ceci :

« Le souci du Joker de Nolan est plus profond, plus métaphysique, moins dandy. Ce qu’il veut, c’est en finir avec la possibilité du200_s bien. Ce qu’il veut défaire, c’est l’héroïsme de Batman, l’idéalisme du procureur incorruptible Harvey Dent. Moins pour en tirer un profit personnel que pour remodeler le monde selon l’idée qu’il s’en fait : un charnier où tout est voué à pourrir. D’une vision démiurgique à l’autre, le Joker s’est défait de sa bouffonnerie pop pour devenir une figure tragique, dangereusement romantique même. »

Que nous dit Télérama à la même époque (référence inédite, je vous l’ai dit) ?

« Contrairement à celui de Jack Nicholson (dans le Batman de Tim Burton), le Joker de Heath Ledger est un desperado, un mélancolique. Son masque de peinture semble avoir été ruiné par les larmes, il dégage une énergie diabolique, juvénile, qui paraît l’indisposer lui-même. Alors, tout le monde veut voir ça, et il y a de quoi : ce Joker à l’infini désir de mort, indestructible malgré ses chutes du haut des gratte-ciel… »

Bon, d’accord, le mot suicidaire n’apparaît pas dans les deux paragraphes suscités. Les idées de romantisme et de mélancolie (de désespoir, me permettrais-je d’ajouter) sont en revanche bien présentes. L’aspiration à la mort est courante chez les héros romantiques. L’idée que le Joker de Nolan pouvait faire partie de cette catégorie de personnages ne m’est venue que bien après la séance de 2008. Il partage avec eux un certain nombre de critères : la jeunesse, le génie, les ténèbres et ce côté « absolu » dont parlait Christopher Nolan. Le Joker désire-t-il mourir ? Je crois que oui. Chacun se fera l’avis qu’il voudra.

Le Joker n’aura jamais fini de faire parler, et des gens analyseront toujours le film de Nolan parce qu’il a eu l’idée de génie d’en dévoiler juste assez pour nous faire réfléchir. Sur un blog, j’ai lu que le Joker fascinait parce qu’il représentait une forme de liberté à laquelle nous aspirions tous sans l’avouer. Le Joker incarne en effet la liberté absolue : il fait tout ce qu’il veut quand il le veut, il n’a aucune limite puisqu’il n’a peur de rien, et il ne culpabilise jamais.

Qu’on ne sache rien de lui le rend fascinant. En ce qui me concerne, je n’ai besoin d’aucune excuse pour apprécier ce personnage, que j’ai déjà défendu par le passé.

(Je parle d’excuse, je m’explique. Dans le vaste univers de la fanfiction, il est, disons… de tradition d’inventer un passé au Joker de Nolan. Sinon, comment l’héroïne pourrait-elle « moralement » tomber amoureuse de lui ? Manifestement, rares sont les auteurs qui se contentent du Joker tel qu’il est, ou de la quasi-absence d’explications données par Nolan dans son film. Il y a des années, j’ai écrit ma propre histoire sur le sujet, à titre d’expérience et parce que je voulais savoir s’il était possible d’inventer une telle trame tout en restant fidèle au personnage. L’héroïne ne cherchait jamais à savoir qui le Joker pouvait avoir été. L’histoire se terminait sur sa mort consentie, orchestrée par le Joker. L’amour constituait une entrave pour lui, et le Joker lui-même signifiait pour l’héroïne un aller simple pour la folie. J’ai relu récemment cette histoire et j’ai été troublée par son pessimisme. Et par la quantité d’hémoglobine contenue dans un certain chapitre. Et par deux-trois phrases trop alambiquées.)

Il est temps de clore cet article. A dire vrai, je voulais écrire un article de fond sur le Joker de Nolan depuis un sacré bout de temps. S’il vous donne envie de revoir le film : mission accomplie.

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Jack White III

J’ai publié de la fiction ici ces derniers temps. Rassurez-vous, je n’oublie pas que ce blog a aussi été fait pour poster des articles en tous genres, même des essais et des élucubrations parfois farfelues – sans compter les interviews.

Période oblige, il me faudrait parler de Jack White. Après tout, Lazaretto, son deuxième album solo, est sorti il y a quelques semaines à peine. Si je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller voir le monsieur en concert, je m’amuse à suivre sa tournée (entre autres) en regardant les concerts qui sont retransmis par les festivals où le grand pâlichon passe. Mais j’ai déjà tellement parlé de lui sur ce blog, par exemple ici, ici ou même (et oui, l’histoire de l’inventeur et son élève…) qu’il me semblait redondant de recommencer.

Et puis, ce matin, j’ai lu un essai de William Giraldi dans les transports. L’auteur, professeur de littérature à l’université de Boston, a écrit une non-fiction brillante et non dénuée d’humour sur son obsession pour Jack White, intitulée Jack My Heart. Une obsession qui n’existe plus, comme il l’a expliqué dans une interview, même si Giraldi reste passionné par le musicien. Quant à moi, même si je n’ai jamais repeint ma chambre en rouge et blanc (pas même accroché un poster des White Stripes dans ma chambre !), ce texte m’a amenée à réfléchir. Mine de rien, il évoquait avec justesse des éléments très profonds et je me suis forcément reconnue dans certains aspects, même si les conséquences d’une telle passion ont été différentes pour Giraldi et pour moi.

Lazaretto est un bon album, inutile de le cacher. Peut-être moins bon que Blunderbuss, le premier album solo de Jack White, et je sais que beaucoup ne seront pas de cet avis. Blunderbuss me semble plus uni, plus cohérent que son petit frère, qui a tendance à s’éparpiller un peu. (J’ai ma théorie là-dessus : d’ordinaire, White met quelques semaines à mettre en boîte un album. Lazaretto lui a pris dix-huit mois – assez pour essayer trop de choses et perdre son fil conducteur.)

Il n’empêche. Fidèle à mon habitude, je me suis contentée d’écouter les singles, je n’ai rien téléchargé et je suis allée acheter l’album à la Fnac le lendemain de sa sortie. (La veille était un jour férié.) Comme par hasard, le jour où je rendais mon mémoire de fin d’études. La fin d’une époque, en quelque sorte. En six ans, j’ai grandi, accompli des choses et su ce que je voulais faire. Jack White n’aurait plus le même impact sur moi qu’à dix-sept ans. La passion se serait diluée avec toutes les expériences que j’aurais vécues, tous les disques que j’aurais écoutés et tous les livres que j’aurais lus depuis. Seulement, en rentrant chez moi pour glisser le disque dans le lecteur tout en feuilletant le livret de Lazaretto, la même impression est venue. Celle de retrouver un ami très cher, et disons-le tout net, le maître qui m’a tout appris. We meet again, girl.

Rien ne me prédestinait à ressentir ça. (J’entends déjà une amie me dire : « Tu es dans le déni ». Soit. Je ne m’attendais guère à ressentir ça.) En six ans, j’ai gagné en objectivité, la preuve : Lazaretto a des défauts, je suis la première à le dire. Ces dernières années, il m’est arrivé d’être agacée par White (voire carrément remontée), de désapprouver certains de ses actes et décisions. Et heureusement ! J’étais sortie de ma phase d’adoration première pour avoir plus de recul. Ainsi, je m’étais affranchie, pensais-je. Blunderbuss m’avait beaucoup touchée, mais en 2014 Lazaretto trouverait une jeune femme sûre d’elle et un brin cynique, qui saluerait Jack d’un signe de la main, passerait de précieux moments avec lui avant de retourner à ses occupations.

J’ai écouté l’album un grand nombre de fois, et je l’écoute toujours. On fait tous ça avec les disques qu’on aime, pas vrai ? S’en imprégner pour déclarer à la fin : « Oui, je l’ai bien écouté, je peux te dire ce que j’en pense ». Je fais toujours ça avec les albums que j’apprécie. (En ce moment, je suis dans une période Nine Inch Nails et dire le nombre de fois où j’ai passé Year Zero m’est impossible.) J’aime écouter les différents instruments, connaître les paroles, repasser en boucle certains morceaux. Cela dit, lorsque j’ai commencé à lire les interviews de Jack White qui sortaient, à acheter certains journaux anglo-saxons dont il faisait la couverture et à repartir à la recherche des œuvres qu’il citait, il a fallu me rendre à l’évidence.

Le bougre faisait son grand retour dans ma vie.

Damn.

En fait, il me rappelait surtout qu’il n’était jamais parti. Ce qui m’a jetée dans une grande phase d’interrogations et, finalement, poussée à écrire cet article. La question que je me pose, la voici : dans quelle mesure Jack White a-t-il déterminé ce que je suis devenue ? Plus largement, à quel point un artiste peut-il influencer ce que l’on devient ?

A la fin de son essai, William Giraldi écrit que l’on devient obsédé par un artiste parce qu’on veut lui ressembler et qu’on envie ses capacités. On finit ensuite par trouver sa propre voie, et l’obsession n’a plus de raison d’être :

Artists obsess over other artists, over the masters, because we want to be them, want their aptitude and cunning and force in the world. We want to touch our targets of veneration because we’d like to filch pocketfuls of their godliness with the wish of becoming gods ourselves. We obsess over what is doled to us in pieces but denied to us in total, but only until we gain the daring to achieve our own brand of mastery.

Soit. Agreed. Pourtant, le lien que je ressens pour Jack White et sa musique est toujours aussi fort qu’avant, alors que je le croyais atténué. Même si, précisément, j’ai trouvé ma voie. Pourquoi ?

Revenons au commencement. A 17 ans, j’entends pour la première fois l’album des Raconteurs Consolers of the Lonely chez moi, et je suis instantanément captivée. Je connaissais Jack White de réputation, mais je n’avais jamais accroché au peu de chansons White Stripes que j’avais entendues. Je ne sais pas ce qui s’est passé ce jour-là, mais je me souviens très exactement de la phrase que j’ai prononcée, dans un état d’euphorie inconnu : « Je savais bien que Jack White arriverait à la maison ! ». Six ans plus tard, je ne me l’explique toujours pas. Dans la foulée, je suis allée à la médiathèque la plus proche pour emprunter Get Behind Me Satan, dont la pochette me faisait de l’œil depuis sa sortie. (Par la suite, je me suis procuré toute la discographie de Jack White en un temps record.) Je place le disque dans le lecteur. Et à My Doorbell, c’est le début de la fin : j’ai envie de monter un groupe et de faire des chansons.

Forever For Her (Is Over For Me) me motive comme jamais :

Well, let’s do it, let’s get on a plane and just do it
Like the birds and the bees and get to it
Just get out of town and forever be free

Quant à As Ugly As I Seem, c’est la chanson que j’attendais depuis toujours. Elle est encore aujourd’hui ma chanson favorite. C’était le début. J’avais 17 ans, j’étais jeune – et fort impressionnable –, mais j’étais loin de prévoir les conséquences qu’aurait Jack White sur mon existence. Je me suis mise à emprunter tous les albums qu’il citait en interview, et c’est ainsi que j’ai fait mon éducation musicale. Grâce à lui, j’ai découvert le blues des années 30, le garage rock et le cinéma d’Orson Welles, pour ne citer que ça. J’ai lu des choses que je n’aurais jamais lues autrement, sur tous les sujets, parce que notre homme est polymathe, évidemment. Aller lire ou regarder ce que des artistes que j’aime citent est une méthode que j’utilise encore – bien pratique lorsqu’on est à cours d’idées.

Pour les Dead Weather, il a aussi décoré sa batterie avec l’image des trois épouses de Dracula dans la version de Tod Browning (1931).

L’année suivante, je suis entrée à l’université et j’ai fondé mon premier groupe, Tinker Bell, avec une amie. (Qui s’appelait Meg. Je la connaissais bien avant les White Stripes, voyons cela comme une heureuse coïncidence. Ajoutons à cela qu’elle a le même caractère que l’illustre batteuse, que je suis pâle avec des cheveux sombres et bouclés et que je parle beaucoup. Vous voyez le truc.) A l’exception d’un mini concert improvisé à la fac cette année-là, le groupe n’a jamais dépassé les frontières de notre appartement. Il nous reste quelques enregistrements bricolés avec les moyens du bord. La même année, après un an de panne d’écriture, je me suis remise à griffonner, inspirée par la musique de Jack White. D’abord un conte gothique, des petites histoires, puis mon premier roman, Clothilde & Adhémar, qui a été publié aux éditions La Bouquinerie en Décembre 2010. L’histoire se déroule au Moyen-Age. Un jeune homme dont on ignore tout, Adhémar, arrive un jour dans un château. Deux personnages en particulier gravitent autour de lui : un chevalier, Enguerrand, qui le prend en amitié tout en décidant de percer son secret, et la dame des lieux, Clothilde, qui se retrouve envoûtée par Adhémar. C’est une histoire très sombre, où les passions des différents personnages ont des conséquences dramatiques. Le héros était en grande partie inspiré par… Jack White, eh oui. Je me souviens avoir fait tourner en boucle Blue Veins en rédigeant le dernier chapitre. Au début du livre, j’ai mis deux citations, une d’Oscar Wilde et une des Dead Weather, extraite de Will There Be Enough Water. White et Wilde figurent tous deux dans mes remerciements. (Qui sont bien trop débordants et sentimentaux, mais j’étais jeune, encore une fois.)

Ma première phase est passée, et je me suis intéressée à d’autres groupes. Black Rebel Motorcycle Club a aussi eu son importance. Moindre que celle de White, mais une importance qui se manifeste toujours. Rétrospectivement, c’est Jack White qui a provoqué ma passion pour la musique, mon envie d’écrire dessus et de rencontrer des musiciens, ce que j’ai commencé à faire ici et là, pour des blogs… Je sais aussi que je tiens de lui mon éthique de travail : j’aime faire les choses vite et bien. Si je suis impliquée dans un projet, j’aime m’y plonger immédiatement, me concentrer dessus et le réaliser le plus vite possible. Si un projet ne me captive pas tout de suite, ça ne vaut pas le coup. (C’est particulièrement vrai pour les chansons que je bricole : celles que je mets du temps à finir sont systématiquement inutiles et ennuyeuses.) L’écriture de mon premier roman m’a pris trois mois. Celle du roman-feuilleton publié deux ans plus tard pour un quotidien pour lequel je travaillais, quelques semaines. Même chose pour les articles que j’ai publié l’an dernier sur les symboles et l’esthétique de Jack White pour le site Whitestripes.fr : je n’ai fait que ça pendant des jours dès l’instant où on me les a commandés. (Résultat, j’ai appris qu’ils avaient été utilisés pour une thèse – s’il savait.)

Bref, de l’eau a coulé sous les ponts. On arrive en 2014. Six ans plus tard, j’ai déménagé. Je continue toujours à écrire, bien sûr, mais davantage pour le journalisme, ces derniers temps. J’ai publié des articles sur le webzine MIIY, pour qui j’ai interviewé des musiciens. J’ai aussi eu la chance immense de participer à des projets artistiques, comme une adaptation sixties des Femmes Savantes pour le théâtre où j’ai chanté et joué, ou le doublage d’un court-métrage. J’ai aussi fondé un nouveau groupe, The Venetian Sisterhood, avec qui j’ai enregistré des démos en studio la semaine dernière. Et là, c’est le drame. Entendons-nous bien : ce qu’on fait n’a rien à voir avec Jack White. C’est une musique gothique, avec des influences médiévales parfois et, bon. Mais quand je me suis retrouvée dans le studio, je me suis rendue compte que la façon dont je concevais la musique n’était pas si différente de celle d’un grand pâlichon hirsute. La jeune femme qui chante et écrit dans ce groupe avec moi m’a d’ailleurs taquinée sur ma manie de vouloir conserver certains accidents sur l’enregistrement, ou mon émerveillement face à l’idée de mettre trois voix dans le refrain – au lieu des deux initialement prévues.

Plutôt que de m’enfermer dans ma chambre et de tourner en rond en me posant des questions, je préfère écrire. Récemment, je me suis demandée si j’avais voulu devenir journaliste juste pour avoir la chance de rencontrer Jack White un jour. Je ne le pense pas. Ça a dû motiver mon choix, bien sûr, mais ce n’est pas la raison principale. J’aime écrire depuis toujours, et rencontrer toutes sortes de gens – voilà les raisons. Et si j’ai la chance de pouvoir rencontrer des musiciens et d’écrire sur eux, comme ça a été le cas cette année avec Lauren Housley et The Legendary Tigerman, alors je suis très heureuse de cet accomplissement. Il suffit juste de passer à l’étape suivante. Celle du dessus. Peut-être rencontrer le Maître un jour – et je sais exactement quel genre de questions je voudrais lui poser.

Est-ce que Jack White est responsable de la façon dont je travaille, d’une certaine vision que j’ai du monde, de mon envie de faire le plus de choses possible ? En grande partie. Si je me tourne vers les six années écoulées depuis que les premières notes de l’album des Raconteurs ont résonné dans mes oreilles, je me dis que je ne m’en suis pas si mal tirée. J’ai raconté une petite partie de ce qui m’est arrivé grâce à (ou à cause de) Jack dans cet article. Je pense encore à plein d’autres choses qui ne seraient pas survenues sans lui, aux gens que je n’aurais jamais rencontrés. La sortie de Lazaretto les a ravivées, et m’a aussi rappelé toutes les choses qui me restaient à faire avant de saluer la Grande Faucheuse. Merci Jack White ?

Avec de la chance, je pourrais peut-être le lui dire en personne, un jour. Après tout, une élève se doit de remercier celui qui l’a formée.

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Le moment est venu. Le voici enfin, l’article promis sur Loki. C’est le dernier que je poste en cette année 2013 et je suis assez contente de la clore avec ça. Après tout, le God of Mischief m’aura poursuivie une bonne partie de cette année, de bien des manières.
Évidemment, il n’y a pas autant de gifs ou d’images de Thor 2 sur internet que j’aurais aimé en voir, mais ça fera l’affaire. Il y en a largement assez pour un article, inutile de chipoter davantage. Je préviens tout de suite que l’article contient des spoilers pour ceux qui n’ont pas vu le film.

Il y a des mois, donc, j’avais publié ici un article disant tout le bien que je pensais de Loki, que ça soit dans les films de Kenneth Branagh et Joss Whedon ou dans la mythologie nordique. Depuis, j’ai eu le temps de lire un grand nombre de choses sur le dieu de la ruse, et je me suis rendue compte que les réalisateurs avaient fait un sacré bon boulot : le personnage incarné par Tom Hiddleston ne trahit absolument pas l’image que j’ai eu de Loki en lisant divers récit légendaires. Si vous êtes curieux, j’ai récemment lu Odd et les Géants de Glace, un récit pour enfants signé Neil Gaiman paru en 2009. Loki, Thor et Odin figurent parmi les personnages principaux. Le livre peut être lu à tous âges et respecte la mythologie nordique. Le personnage de Loki est fidèle à lui-même : si vous l’avez aimé dans les films Marvel, vous l’aimerez dans ce petit bouquin – délicieusement illustré par Brett Helquist.

BREF. Dans mon précédent article sur Loki, je concluais par ceci :

Et quant à savoir de quel côté Loki sera dans Thor 2, je pense qu’il sera de celui de Thor et je crois… qu’il pourra voir ça comme une chance de rédemption. J’ai discuté avec des amies qui ne soutiennent pas cette théorie, mais je veux y croire, parce qu’avec le temps, j’ai appris à plutôt bien connaître le God of Mischief. Cependant, encore une fois, Loki est imprévisible…

Je m’étais promis d’écrire un article une fois le second film vu pour confirmer – ou non – mes théories. Alors ? Eh bien, je peux affirmer avec fierté que…

J’AVAIS RAISON.

Eh ouais.

J’avais aussi complété ma théorie en dehors de ce blog – libre à vous de me croire ou pas. J’ai pensé que, Loki étant ce qu’il est, s’il voyait une chance de rédemption, il la rejetterait à peine effleurée et préfèrerait aller plus loin dans les ténèbres, quitte à rester seul. Fidèle à lui-même, obéissant à ses propres lois et faisant ce qu’il veut comme il veut, comme toujours. Aidant autrui quand ça l’arrange.

Je suis donc allée voir Thor : Le Monde des Ténèbres d’Alan Taylor (l’un des réalisateurs de Game of Thrones dans laquelle je me suis récemment lancée et Holy Hell, c’est excellent) peu après sa sortie. Critique rapide : le film est meilleur que le premier, ça ressemble parfois à un curieux et plaisant mélange du Seigneur des Anneaux et de Star Wars, et il m’a même fait définitivement apprécier Chris Hemsworth. Oui oui. J’en suis la première surprise.

Et Loki, me direz-vous ?

Il ne m’a pas déçue. Quand je me suis assise sur mon siège, j’étais impatiente de savoir si mes théories étaient justes. Et elles l’ont toutes été, du début à la fin. Dans l’ordre. (La première chose que j’ai appréciée, d’un point de vue purement extérieur à l’histoire, c’est qu’Hiddleston ne cabotine pas. Il aurait pu devenir une caricature de son personnage, mais pile au moment où il menace d’en faire trop, il change brutalement de registre. Entre l’évasion d’Asgard et l’arrivée sur Svartalfheim, oui.)

Reprenons les théories dans l’ordre, voulez-vous ?

1°) Loki sera du côté de Thor.

Gagné. J’en entends déjà hurler : « Oui mais à la fin, il… ». Justement. On est d’accord, Loki s’allie à Thor d’abord pour venger la mort de leur mère, Frigga. Bien. Il aide Thor et Jane à s’échapper d’Asgard, à parvenir sur Svartalfheim et à sauver Jane. (D’ailleurs, au moment de sa pseudo trahison sur cette lugubre planète, j’entendais déjà les amies qui n’avaient pas soutenu mes théories ronronner de satisfaction. Mais c’était une ruse destinée à leurrer Malekith, le chef des elfes noirs. J’ai eu un grand sourire, pas surprise une seconde.) De surcroît, Loki se sacrifie pendant l’affrontement : il est mortellement blessé. Paradoxal pour un dieu ? Loki rappelle ironiquement au début du film que les Asgardiens n’ont qu’un temps de vie plus long que celui des humains, point final. Ils sont mortels.

 

Même si je me doutais, à ce moment, que Loki ne pouvait pas mourir, pour de simples raisons techniques – jeter l’un des personnages principaux au milieu du film, c’est moyen – je reste convaincue de sa sincérité à ce moment-là. Je suis sûre que Loki ne savait pas lui-même s’il allait survivre. Ça  lui a en tout cas donné le temps de faire son mea culpa. S’il est le dieu de la ruse, il est aussi capable de sincérité, ce que les autres films ont suffisamment montré.

2°) Il verra son rôle comme une chance de rédemption

Qu’il a en partie saisie avant de la rejeter en bloc. Admettons-le, s’il n’avait pas survécu à ses blessures, il aurait connu une mort héroïque. Il se rachète aux yeux de son frère, qui lui pardonne – et qui l’aime toujours, comme il ne cesse de le répéter depuis Avengers – et voilà. Rédemption obtenue. Sauf que… Eh oui, la fin du film. Donc, à la fin du film, le spectateur découvre que Loki a survécu et pris la place d’Odin sur le trône d’Asgard. Sous l’apparence de ce dernier (j’étais ravie que le pouvoir de transformation de Loki, très présent dans la mythologie nordique, soit montré dans le film), il laisse Thor renoncer à hériter du trône et retourner sur Terre pour vivre d’amour et d’eau fraîche avec Jane. Et voilà, tout est bien qui finit bien, d’un côté comme de l’autre. JUSTEMENT. Loki n’est pas siiiii… eh ben, méchant que ça, en fin de compte.

3°) Loki est bel et bien du côté de Thor… même s’il reste fidèle à lui-même

LokiOk, Loki s’empare du trône et envoie Odin on  ne sait où. D’accord. Ceci dit, si envoyer Thor sur Terre avec Jane l’arrange bien, n’est-ce pas aussi un geste fraternel qu’il a envers lui ? Loki autorise son frère, après tout, à suivre la voie qu’il a choisie et à être heureux. Renoncer au trône est aussi une transgression pour Thor, ce qui ne doit pas déplaire à son frangin. Loki agrémente le discours d’Odin de jolies remarques pleines d’amour paternel (fraternel ? ). Certains diront que c’est pour rendre son imitation d’Odin plus crédible, mais jamais Odin ne parlerait ainsi en temps normal. J’aime à penser que cette scène montre une bonne fois pour toutes que Loki, même s’il sert ses propres intérêts, est aussi, jusqu’à la fin du film, du côté de son frère.

Que dire de plus, à part souhaiter que ma démonstration vous ait convaincu(e)s ? Si ce n’est pas le cas, je suis toujours ouverte au débat, bien entendu.
Quoi qu’il en soit, j’ai hâte de revoir le film et, en attendant, je peux toujours me plonger dans les arcanes de la mythologie nordique. Et vous savez quoi ? J’adorerais écrire un essai digne de ce nom sur Loki – ça fait partie de la foule de livres que j’aimerais écrire. Parce que oui, je serai toujours aux côtés du dieu de la ruse pendant le Ragnarok. Pas l’ombre d’un doute.

Et on se quitte sur une bonne résolution.

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Au moment où j’écris cet article, mon blog est pris en otage par le cours d’informatique où je me trouve. Le cours porte sur wordpress. Quitte à bloguer, c’est le moment où jamais de faire un article sur… Cymbeline de William Shakespeare. (Je n’y peux rien si les gifs sur Loki dans Thor 2 mettent un temps fou à arriver. Blame the fangirls.)

Ceci dit, il y a un point commun entre un sujet sur Loki et Cymbeline : Tom Hiddleston. J’entends parler de cette pièce depuis que je suis enfant – notamment grâce à Oscar Wilde et Louisa May Alcott -, mais c’est parce qu’Hiddleston l’a citée dans sa conférence pendant le Comic Con de San Diego que je me suis enfin décidée à la découvrir. Je m’étais promis de lire de nouvelles pièces de Maître Will avant fin 2013, mieux vaut tard que jamais.

Imogen – Herbert Gustave Schmalz (1888)

Je parle rarement d’œuvres littéraires ici, et quand c’est le cas, j’ai tendance à m’attarder sur un personnage en particulier. N’ayez crainte, je ne vais pas déroger à la règle. Je voudrais simplement dire, avant de passer à notre héros du jour, que Cymbeline a été un véritable coup de foudre. C’est désormais une de mes pièces favorites de Shakespeare. Aucune d’entre elles, en tout cas, n’avait eu un effet aussi fort depuis Roméo et Juliette, la première que j’ai lue de lui à l’âge dix ans. (Depuis, je pensais Hamlet indétrônable. Malheur à moi !) Cymbeline contient tous les éléments chers à Shakespeare : travestissement, amours contrariées, comédie, tragédie, reine machiavélique, frères et sœurs séparés à la naissance (et de sang royal, histoire de faire bien les choses), fantômes et fées, héroïne passionnée et loin d’être cruche, affrontements royaux, sans oublier une bataille finale épique. Cinq actes. Et pourtant, le tout est fait avec une telle légèreté que la pièce se dévore. Sans une once d’ennui et sans – presque – aucune lourdeur.

Ajoutez à cela que la pièce était la préférée de John Keats, vous avez un gage de qualité non négligeable. La légende veut qu’il ait été en pleurs après avoir lu la scène du départ de Posthumus et qu’il ait mit un temps fou à reprendre sa lecture. Pauvre chouminou.

En parlant de la fameuse scène, elle illustre bien l’absence de lourdeurs de la pièce. Lorsque, au cours du premier acte, Posthumus est banni du royaume de Cymbeline et se sépare de sa femme Imogène, le lecteur n’a pas droit à des tirades interminables, ni aux « Mon Dieu ! » ou « Hélas ! » si chers à Racine. Leur dialogue sonne vrai.

Posthumus : Je resterai le plus fidèle des maris qui aient jamais donné leur parole. Ma résidence sera à Rome, chez un nommé Philario, un ami de mon père que je ne connais que par correspondance ; c’est là que vous m’écrirez, ma reine, et mes yeux boiront chacun de vos mots, leur encre fût-elle du fiel. (…) Si nous prolongions nos adieux pendant toute la durée de notre vie, l’horreur n’en serait que plus grande ! Adieu !

Imogène : Non, encore un instant : si vous partiez pour une brève promenade à cheval, un tel adieu serait déjà insuffisant. Tenez, mon amour : ce diamant appartenait à ma mère ; prenez-le, mon cœur, et conservez-le précieusement jusqu’à ce que vous en épousiez une autre, quand Imogène sera morte.
(Acte I, scène 2)

Sans transition, passons au personnage de Posthumus. Même si je remercie Tom Hiddleston de m’avoir finalement fait lire la pièce, je ne l’aurais pas choisi pour le rôle de Posthumus, qu’il a incarné au théâtre. Je le trouve trop jeune, trop gracile peut-être, même s’il a déjà prouvé l’étendue de son registre. (Du reste, une adaptation filmée de Cymbeline va bientôt sortir sur les écrans. Je ne sais pas ce que vous penserez du teaser, mais Posthumus ne me convainc pas là non plus. Et je voudrais dire aux producteurs qu’on peut adapter Shakespeare autrement qu’en réchauffant Baz Luhrmann. Voyez Joss Whedon et Beaucoup de bruit pour rien…)
Pendant ma lecture, j’ai plutôt imaginé quelqu’un de, disons, ce genre-là :

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Guy de Gisborne. Ou Posthumus, c’est selon.

C’est un fait, Posthumus Léonatus est badass. Je suis tombée amoureuse de lui dès les premières phrases qui mentionnent ledit gentilhomme (la traduction est celle de Christine Lalou) :
« Sa fille, son unique héritière – qu’il destinait au fils unique de la veuve qu’il vient d’épouser – a donné sa main à un gentilhomme sans fortune, mais de grand mérite. Elle l’a épousé. Le voilà donc banni, et elle, en prison. » (Acte I, scène 1)

Ça vous pose un personnage direct. Un seigneur banni parce que marié à la fille du roi, rien que ça. Vient ensuite la fameuse scène des adieux qui fit pleurer notre ami John. Juste avant de quitter le royaume pour s’exiler à Rome, Posthumus croise Cloten (l’incarnation parfaite de la brute), un prince qui convoite Imogène et le provoque en duel.

Cloten : L’ai-je blessé ?

Second seigneur, à part : Pour ça, non ! Pas même entamé sa patience.
(Acte I, scène 3)

*soupir énamouré/admiratif de votre humble servante*

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Eleanor Fortescue-Brickdale – Sir Lancelot (1911)

Dès le début, tout le monde sait que Posthumus restera fidèle à Imogène et inversement. Ce qui pousse un seigneur romain, Iachimo, à défier notre aristocrate exilé : si Imogène cède à ses avances, il rapportera le bracelet que Posthumus a offert à sa femme comme preuve de son infidélité. Iachimo est un méchant qui n’est pas loin d’égaler Iago dans Othello. Et, comme dans Othello, Posthumus va se croire trahi par son épouse. Un ressort que certains trouvent trop facile, ce qui peut se comprendre : Posthumus, comme Othello, ne met pas très longtemps à se laisser convaincre de l’infidélité d’Imogène. Rebondissement oblige.

Après ça, Posthumus, pris d’une fureur identique à celle de son cousin shakespearien, ordonnera à Pisanio (un serviteur resté auprès d’Imogène) de l’assassiner. Ce qui n’arrivera pas, bien entendu : Pisanio est aussi dévoué à notre héros qu’il l’est à la jeune femme, et la fera passer pour morte.

Ces évènements sont loin de faire perdre sa profondeur à Posthumus, qui devient plus intéressant et nuancé après les erreurs qu’il a commises. Évidemment, il regrette son crime une fois obtenue la (fausse) preuve de la mort d’Imogène.
On peut qualifier – anachroniquement – Posthumus de héros romantique, et on le dit “mélancolique” dès le début de la pièce. Cependant, après l’annonce de la mort de sa femme, Posthumus évolue. Il devient plus grave et désabusé. Il gagne vraiment en profondeur et c’est là qu’il devient intéressant. Il a vécu, culpabilise et devient plus lucide. Mourir ne l’effraie pas, bien au contraire :

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(Le même que précédemment. Avouez qu’elle en jette, cette version de Posthumus.)

Posthumus : Je te le garantis, mon ami, tout le monde a des yeux pour se diriger dans le pays où je vais, sauf ceux qui les ferment et refusent de s’en servir.
(Acte V, scène 4)

C’est dans un acte quasi-suicidaire que Posthumus se déguise et prend part à la bataille finale qui oppose les soldats de Cymbeline aux soldats romains. On le voit combattre aux côtés de Guidérius et Arviragus, (les deux princes héritiers de Cymbeline et frères d’Imogène, enlevés à leur naissance) et de Bélarius, père adoptif des deux princes et autre banni. Je vous laisse imaginer la team badass que ces quatre-là forment.

Je vous passe les détails qui restent. Forcément, à la fin de la pièce, une vaste scène de reconnaissance a lieu. Imogène, déguisée en garçon, retrouve enfin son mari et  se révèle à lui. Posthumus l’étreint. Et il n’a pas besoin de trente-six phrases pour témoigner de son amour, mais d’une seule. Shakespeare connaît aussi la concision.

Posthumus : Oh ! ma chère âme ! reste ainsi suspendue comme un fruit à cette branche, jusqu’à ce que l’arbre meure.
(Acte V, scène 5)

J’ai terminé la pièce avec deux certitudes : la première, c’était que Posthumus était devenu mon personnage shakespearien préféré avec Macduff dans Macbeth. La seconde, c’est que j’allais mettre un peu de temps avant de pouvoir lire une autre pièce de Maître Will. Le temps de me remettre de Cymbeline.

Je vais achever là cet article sur Posthumus, sous peine de me perdre en déclarations enflammées – et bien entendu, j’ai une idée précise du genre d’acteur que j’aimerais voir le jouer. Je vois bien Luke Evans, par exemple. Bon âge, bonne morphologie, charisme adéquat. Sans rancune, Tom.

(Je finis cet article trois jours plus tard. Nous sommes le 14 Décembre et j’ai 23 ans aujourd’hui. Entamer son année avec un article sur Shakespeare, c’est un début idéal.)

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Helen Kane

Soyons honnêtes, aujourd’hui, j’avais le choix entre deux sujets d’articles : Loki et Helen Kane. J’ai dû me résoudre (une fois de plus) à abandonner le premier. Je rêve depuis des semaines de faire un article en réponse à l’essai sur Loki que j’avais publié il y a des mois. (Thor 2 est sorti, je l’ai vu, mes théories se sont-elles vérifiées ? Héhéhé.) Malheureusement, internet ne m’offre pour l’instant que peu de photos du film. Or, j’aime faire les choses bien et je veux croire que l’article ne mettra pas longtemps à arriver.

Je tiens aussi à préciser que j’avais déjà un article tout prêt sur Helen Kane – que j’ai écrit pour répondre à un devoir universitaire – mais j’ai décidé qu’il était trop formel. Jetons tout aux orties et improvisons une présentation de la demoiselle ici. Parce qu’il faut bien un peu de douceur dans ce monde de brutes, dammit.

J’ai découvert Helen Kane l’année dernière, je crois, en fouillant dans les morceaux que proposait le merveilleux site archive.org. J’ai appuyé sans réfléchir sur la touche play de mon lecteur. Why I’m Happy a commencé, et c’était cuit. Comment résister à cette voix de bébé adorable, balancée sur du jazz qui grésille avec des paroles malicieuses comme tout ? Aujourd’hui encore, je peux rarement écouter une chanson d’Helen Kane sans me retrouver à faire des « awww » ou « elle est trop chou ! ». Vous imaginez le tableau.

Sérieusement, même I Have To Have You avec ses « whoopiii ! » ferait fondre un cœur de pierre.

Miss Kane est une chanteuse qui a connu ses heures de gloire de 1928 à 930. Elle s’est fait connaître à New-York, en plein milieu de la jazz era si chère à Francis Scott Fitzgerald. De ces années, elle confie d’ailleurs dans une des rares interviews que j’ai trouvées d’elle : « J’ai été très heureuse de faire partie de cette époque merveilleusement absurde. J’ai profité de chaque minute. Nous avons tous survécu, bien sûr, même si je ne sais pas comment. » Helen Kane avait signé un contrat avec le Paramount Theatre et, à partir de là, enchaîné les singles à succès. Et une fois pour toutes :

I WANNA BE LOVED BY YOU VERSION MARILYN MONROE EST UNE REPRISE.

LA PREMIÈRE A L’AVOIR CHANTÉE, C’EST HELEN KANE. POINT FINAL.

Le fameux « poupoupidou » est aussi une invention d’Helen. Elle fut la première à ponctuer ses chansons de ce rythme scat, et c’est ainsi qu’elle fut surnommée la Boop-Boop-A-Doop Girl par ses contemporains. Cette petite dame d’un mètre cinquante, enjouée, espiègle, est une telle sensation à l’époque que des concours du meilleur sosie d’Helen Kane sont organisés. Les filles s’habillent comme elle et des poupées à son effigie sont vendues en magasin. D’autres auraient perdu la tête. Pas Helen Kane. Elle continua à chanter, à se produire sur scène et même à apparaître dans quelques films musicaux. Loin d’être une cruche, elle était dotée d’un sacré caractère et n’avait pas sa langue dans sa poche. A l’époque où tout le monde s’extasie sur l’apparition du micro sur scène, Helen Kane proteste, en vraie artiste de cabaret, qu’elle est « obligée de rester plantée devant » pour chanter alors qu’elle préfère utiliser toute la scène pendant ses numéros – et que tout le monde l’entendait très bien sans micro.

Je vous poste des vidéos. Si après les avoir  vues, vous ne tombez pas sous le charme de cette petite bouille adorable, je ne peux plus rien pour vous.

Ses « poupoupidous », sa petite voix (bien plus haut perchée que la voix qu’elle avait en réalité, mais chut), sa tignasse brune et ses immenses yeux marrons lui ont d’ailleurs valu d’inspirer l’un des plus célèbres personnages de cartoon : Betty Boop. Quand on connaît Helen Kane, la ressemblance est évidente.

Pourtant, Helen perdit le procès fait aux dessinateurs de Betty Boop, visant à prouver qu’elle avait été plagiée. Sa carrière était sur le déclin, ce qui n’a pas arrangé les choses. Qu’à cela ne tienne : miss Kane se remarie pour la troisième fois – et pour de bon : elle restera avec Dan Healy jusqu’à sa mort – et ouvre un restaurant à New-York. Tout en ne se privant pas de se produire sur scène lorsqu’elle y est invitée. Trente ans plus tard, elle rencontrait toujours autant de succès auprès de la jeune génération qui l’apercevait sur scène.

Écouter Helen Kane me fait toujours sourire : ses chansons sont drôles, parfois touchantes et mettent de bonne humeur. Je vois souvent des gens déprimés dans les transports et je pense que non seulement ils ne prêtent pas attention à ce qu’il y a autour d’eux, mais aussi qu’ils n’écoutent pas la bonne musique. Helen Kane met du baume au cœur et réchauffe les pièces froides.

Je pense vraiment qu’elle gagne à être plus connue : tout le monde connaît le tube de Marilyn et l’allure de Betty Boop, mais qui sait qui se cache derrière ? Peu de gens. Alors oui, je prône Helen Kane, je militerai toujours pour elle, parce que sa petite voix est irrésistible et que les chansons qui grésillent ont un charme fou.

Pour finir, une photo d’Helen Kane, Jack Oakie et Jean Harlow. What a time…

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© Sibylline Meynet

Aujourd’hui, grande première puisque ce blog voit sa première interview – pas la dernière. Il y a quelques semaines, je suis allée dans mon salon de thé préféré à Lyon, Laureline’s Corner. C’est un endroit que j’aime, pas seulement parce que tout, absolument tout y est délicieux et fait maison (vive les cupcakes et les chocolats chauds aux marshmallows !), et que ceux qui tiennent l’endroit sont adorables : c’est un lieu accueillant et joli, sous le signe du vintage, avec en musique de fond des girls bands des années 60. Un après-midi, je me suis retrouvée là-bas avec une amie, et des tableaux accrochés au mur ont attiré mon attention.

Mission : demander le nom de l’artiste avant de partir. (Dans ma tête, les mots article, découverte, article, blog se livraient déjà une bataille féroce. Le coup de pinceau de ce peintre avait attiré mon œil et j’étais décidée à le partager avec le monde entier. Au minimum.) « C’est ma petite sœur », me répond Laureline, qui me donne l’adresse du site de la demoiselle. Ni une, ni deux, je la contacte sitôt rentrée chez moi. L’artiste que je vais vous faire découvrir se nomme Sibylline Meynet. A 22 ans, c’est une artiste freelance avec de nombreuses années de carrière derrière elle et de très, très beaux projets à venir.

J’aime beaucoup son style, qui appartient à un mouvement rétro que j’affectionne. Le trait de Sibylline est gracieux et juvénile à la fois, délicat et pas dénué de raffinement. Je voulais absolument savoir qui se cachait derrière ses dessins, et je n’ai pas été déçue.

Mary Blair

Quels sont les artistes qui t’ont influencée ?

Je pense avoir été très influencée par les dessins animés Disney quand j’étais petite, je suis d’ailleurs toujours aussi fan des films et des artistes ayant contribué à ces chefs d’œuvres, tels que Marc Davis, Mary Blair, Eyvin Earle, Glen Keane… Les illustrations de Brenot, Gruau, Whitcomb, Elvgren sont aussi une immense source d’inspiration pour moi, leurs femmes sont toujours belles et élégantes, et leurs hommes super chics et rigolos. J’aime bien regarder un dessin qui soit beau et drôle à la fois.

Je suis aussi pas mal d’artistes sur internet, je vais régulièrement voir leur blog quand j’ai envie de rêver un peu. Parmi eux Geneviève Godbout, Annette Marnat, Maike Plenzke, Stevie Lewis, Babs, Leslie Hung pour n’en citer que quelques uns !

Tu as fait la décoration du salon de thé Laureline’s Corner, à Lyon, et c’est comme ça que je t’ai découverte. C’est d’ailleurs ta sœur qui tient ce salon de thé. Le vintage est une manie familiale ?

© Sibylline Meynet

Oui ! Mon père est artiste aussi et est né dans les années 1960, du coup il s’intéresse beaucoup à cette époque qui le replonge en enfance. Il a beaucoup de livres et de films « en noir et blanc », ça a toujours fait partie de notre univers au quotidien. En grandissant, j’ai fait mes petites recherches sur les années 1950 ; cette période me paraissait tellement chic, élégante, presque inaccessible, que j’en suis tombée amoureuse.

Est-ce que c’est un domaine que tu voudrais continuer à explorer, le design, la création de décors ?

J’ai vraiment aimé aider ma sœur à créer cet univers car il me correspondait aussi. J’adore les intérieurs des années passées, recréer des ambiances rétro c’est vraiment chouette, c’est d’ailleurs pour ça que je dessine. Le faire dans la vraie vie, ça demande plus d’efforts, mais c’est tellement bien de voir le résultat final ! Je ne pense pas me diriger dans la déco dans le futur, sauf si c’est quelque chose qui m’intéresse vraiment, quelque chose qui m’éclate, et que je prenne du plaisir à le faire.

A quoi ressemble une journée dans la vie de Sibylline ?

© Sibylline Meynet

Je suis quelqu’un d’assez organisé, du coup j’ai mon petit agenda, mon petit planning, et je peux me mettre à bosser ! Sur mon mur, j’ai un post-it qui me rappelle quelles sont mes priorités : le matin je m’occupe des commandes qu’on me passe. L’après-midi, je travaille sur des projets pro, magazines, comics, le tralala des maisons d’édition, et si je n’ai pas de commandes pro, j’en profite pour avancer sur mes projets personnels. Le soir, je m’accorde une ou deux heures, parfois plus, pour gribouiller ce qui me passe par la tête. La plupart du temps je dessine sur papier car je passe mes journées sur l’ordinateur. En général je me couche assez tard parce que j’adore travailler la nuit. C’est tellement paisible !

Question incongrue : travailles-tu en musique ? (Dixit celle qui écrit très souvent avec un disque en musique de fond…)

OUI ! Ça aide à se concentrer, ça rend heureux, c’est motivant ! Parfois je travaille sans musique sans m’en rendre compte, et dès que je m’aperçois que c’est le silence complet, je balance un peu d’Elvis pour m’accompagner dans ma solitude d’illustratrice freelance.

J’ai lu que tu avais écrit : « j’aime les films en noir et blanc et la musique qui grésille ». Si tu devais choisir un film et un album qui grésille, lesquels prendrais-tu ?

On va me prendre pour une vieille dame dans l’âme, mais j’aime, j’adore la musique qui grésille de Louis Armstrong. Ça me repose et ça me fait aussi penser à mon enfance. J’aime beaucoup Peggy Lee, Aretha Franklin, The Chordettes, The Ronnettes, The Marvelettes, The Bobettes, The Supremes, Bobby Vinton et tellement d’autres… Mais celui qui a conquis mon cœur, c’est Elvis Presley.

Niveau films, je suis fan d’Alfred Hitchcock. « North By Northwest » est un de mes préférés avec «Marnie ». « Some Like It Hot » de Billy Wilder me fait rêver (et beaucoup rire !) aussi.


Un projet fou que tu aurais particulièrement envie de réaliser ?

Il y en a tellement ! Avoir mon propre magazine en fait partie. Travailler avec les gens que j’admire est un de mes plus grands rêves, surtout avec mes groupes de musique préférés ! Faire leur pochette d’album, les dessiner, partager avec eux… Ça serait vraiment le pied ! Bien sûr, j’adorerais avoir ma propre bande dessinée éditée, c’est d’ailleurs ma priorité en ce moment.

Un autre projet qui me tient à cœur, quand j’aurai le temps et l’argent, c’est d’aller à Graceland, visiter la propriété d’Elvis Presley. Ça fait un peu groupie, c’est pas non plus un projet super fou, mais c’est quelque chose qu’il faut absolument que je fasse au plus vite !

© Sibylline Meynet

What’s next ?

Bonne question ! Je m’efforce de garder quelques projets secrets, mais je peux aujourd’hui annoncer que j’ai travaillé ces derniers mois sur une BD de Garfield qui fait 10 pages, et qui sera publiée aux USA dans peu de temps. J’ai eu la chance d’être contactée par BOOM ! Studios à Los Angeles, qui travaille directement avec Jim Davis. J’ai un peu stressé au début parce que, quand même, c’est un peu une légende. Ça s’est super bien passé et j’ai hâte de vous la montrer !

Sinon je peux aussi vous dire que je vais passer ces prochains mois cloitrée chez moi à travailler sur un ouvrage trèèès épais.

Il y a encore un autre projet dont j’aimerais vous parler mais j’en ai pas encore le droit ! A suivre !

Merci à Sibylline qui a si gentiment accepté de répondre à mes questions ! N’hésitez pas à lui rendre visite sur son blog ou à aimer sa page facebook. Et pour avoir un aperçu de son travail en « en vrai » (et manger des cupcakes !), vous pouvez toujours aller là :

Laureline’s Corner
4, rue Romarin
69001 Lyon

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L’article jeté à l’instant sur vos écrans est consacré à un musicien que j’ai (re)découvert il y a peu. Jay Reatard.

Je me souviens du jour où je l’ai découvert : celui de l’annonce de sa mort. C’était un jour gris de 2010, j’étais seule dans mon appart et j’ai vu pour la première fois le visage de ce jeune homme dans un article. Ce jour-là, des chansons et des démos avaient été mises gratuitement en ligne et j’en ai pris un certain nombre… plutôt sympathiques.

Trois ans plus tard, dans ma logique de consommer une œuvre par jour, je me suis souvenue de Reatard, que je n’avais pas écouté depuis des temps immémoriaux. Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi Watch Me Fall ce jour-là. Toujours est-il que l’album a été vraie claque et que depuis, je l’écoute tous les jours sur mon samsung, dans les transports, dans la rue, partout.

Donc, j’ai décidé de partager cette découverte. Parce que Jay n’est pas assez connu et qu’il mérite de l’être, tout simplement. Après tout, ce blog est surtout là pour ça : transmettre ce que j’aime.

Jay Reatard (né Jimmy Lee Lindsey Jr) est mort à 29 ans en 2010, alors qu’il commençait à sortir de la confidentialité de la scène garage/punk et à faire les couvertures des journaux. Carrément.

Avant ça, il aura eu 22 albums, une quarantaine de singles et des poussières au compteur – d’après the man himself. A une époque, Jay Reatard disait même écrire une chanson par jour. Il fallait que ça sorte et la vie de Jay Reatard a toujours été à l’image de son œuvre : urgente, nécessaire, remplie jusqu’à ras bord.

© Audrey Cerdan

A 15 ans, les parents de Jay l’ont mis face à un choix : soit il arrêtait de gratter sa guitare dans sa chambre pour aller en cours, soit il dégageait. Jay a pris ses cliques et ses claques et n’est jamais revenu.

A partir de là, sa vie fut corps et âme dédiée à la musique. Jay a connu plusieurs groupes, sorti un nombre incalculable de chansons et apparemment, travaillait encore sur un album peu avant sa mort.

Celui qui l’a révélé au grand public – et récolté des critiques dithyrambiques – s’intitule donc Watch Me Fall (2010). C’est un disque court (32 minutes et quelques secondes) et beau. Surtout beau.

J’ignore si le terme garage-pop existe, mais c’est vraiment ça. Jay Reatard a longtemps œuvré dans la musique punk et le garage bien cracra, ce qui n’est pas pour me déplaire. Watch Me Fall a toujours cette rage, mais il est traversé de mélodies fulgurantes et de chansons qui mettent de bonne humeur pour la journée. En dépit des paroles.

Impossible de ne pas agiter la tête sur Ain’t Gonna Save Me, par exemple. Pourtant, les paroles de Jay Reatard sont souvent sombres et désespérées. Il a parfois dit qu’il ne fallait pas y prêter trop attention, que seule la mélodie comptait. Tu parles. Sans y voir de présages concernant sa mort, je préfère y déceler la sincérité d’un jeune homme qui mettait toutes ses tripes dans ses chansons.

Et du coup, quand je l’entends chanter « There is no sun… for me », je pense à tous les héros que j’aime – ceux que j’ai créés ou les autres types que j’admire, là-bas – et je me dis que Jay a parfaitement sa place parmi eux.

C’est d’ailleurs pour ça que je l’aime bien. J’admire la vie qu’il a eue parce qu’il a eu le courage de vivre entièrement par et pour ce qu’il aimait, sans concession. J’apprécie sa culture musicale absolument dingue. D’ailleurs, je ne dois pas regarder cette interview parce que je vais me mettre à chercher tout ce dont il parle. Foutue manie. Mais je la poste pour vous, sait-on jamais.

J’apprécie aussi le fait qu’avec le temps, il soit passé du garnement à cet homme intelligent, terriblement lucide, qu’on a pu voir dans ses dernières interviews, qui sont toujours intéressantes à écouter ou à lire.
(Et quand il parle, il a la même voix que Jack White. C’est un peu déstabilisant, au début.)

J’aime bien Jay Reatard parce que bon sang, il s’est toujours complètement fichu du qu’en dira-t-on et que jusqu’à la fin, il a porté son art et l’a incarné. On a besoin de plus de gens comme lui, qui ne se soucient pas d’être sages ou bien vus, et qui aient une telle sincérité.

En attendant, je fais ce que j’aime et j’essaie de le faire connaître le plus possible. Qui sait, il parviendra peut-être à créer une étincelle chez un de mes lecteurs, hein ?

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