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Jack White III

J’ai publié de la fiction ici ces derniers temps. Rassurez-vous, je n’oublie pas que ce blog a aussi été fait pour poster des articles en tous genres, même des essais et des élucubrations parfois farfelues – sans compter les interviews.

Période oblige, il me faudrait parler de Jack White. Après tout, Lazaretto, son deuxième album solo, est sorti il y a quelques semaines à peine. Si je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller voir le monsieur en concert, je m’amuse à suivre sa tournée (entre autres) en regardant les concerts qui sont retransmis par les festivals où le grand pâlichon passe. Mais j’ai déjà tellement parlé de lui sur ce blog, par exemple ici, ici ou même (et oui, l’histoire de l’inventeur et son élève…) qu’il me semblait redondant de recommencer.

Et puis, ce matin, j’ai lu un essai de William Giraldi dans les transports. L’auteur, professeur de littérature à l’université de Boston, a écrit une non-fiction brillante et non dénuée d’humour sur son obsession pour Jack White, intitulée Jack My Heart. Une obsession qui n’existe plus, comme il l’a expliqué dans une interview, même si Giraldi reste passionné par le musicien. Quant à moi, même si je n’ai jamais repeint ma chambre en rouge et blanc (pas même accroché un poster des White Stripes dans ma chambre !), ce texte m’a amenée à réfléchir. Mine de rien, il évoquait avec justesse des éléments très profonds et je me suis forcément reconnue dans certains aspects, même si les conséquences d’une telle passion ont été différentes pour Giraldi et pour moi.

Lazaretto est un bon album, inutile de le cacher. Peut-être moins bon que Blunderbuss, le premier album solo de Jack White, et je sais que beaucoup ne seront pas de cet avis. Blunderbuss me semble plus uni, plus cohérent que son petit frère, qui a tendance à s’éparpiller un peu. (J’ai ma théorie là-dessus : d’ordinaire, White met quelques semaines à mettre en boîte un album. Lazaretto lui a pris dix-huit mois – assez pour essayer trop de choses et perdre son fil conducteur.)

Il n’empêche. Fidèle à mon habitude, je me suis contentée d’écouter les singles, je n’ai rien téléchargé et je suis allée acheter l’album à la Fnac le lendemain de sa sortie. (La veille était un jour férié.) Comme par hasard, le jour où je rendais mon mémoire de fin d’études. La fin d’une époque, en quelque sorte. En six ans, j’ai grandi, accompli des choses et su ce que je voulais faire. Jack White n’aurait plus le même impact sur moi qu’à dix-sept ans. La passion se serait diluée avec toutes les expériences que j’aurais vécues, tous les disques que j’aurais écoutés et tous les livres que j’aurais lus depuis. Seulement, en rentrant chez moi pour glisser le disque dans le lecteur tout en feuilletant le livret de Lazaretto, la même impression est venue. Celle de retrouver un ami très cher, et disons-le tout net, le maître qui m’a tout appris. We meet again, girl.

Rien ne me prédestinait à ressentir ça. (J’entends déjà une amie me dire : « Tu es dans le déni ». Soit. Je ne m’attendais guère à ressentir ça.) En six ans, j’ai gagné en objectivité, la preuve : Lazaretto a des défauts, je suis la première à le dire. Ces dernières années, il m’est arrivé d’être agacée par White (voire carrément remontée), de désapprouver certains de ses actes et décisions. Et heureusement ! J’étais sortie de ma phase d’adoration première pour avoir plus de recul. Ainsi, je m’étais affranchie, pensais-je. Blunderbuss m’avait beaucoup touchée, mais en 2014 Lazaretto trouverait une jeune femme sûre d’elle et un brin cynique, qui saluerait Jack d’un signe de la main, passerait de précieux moments avec lui avant de retourner à ses occupations.

J’ai écouté l’album un grand nombre de fois, et je l’écoute toujours. On fait tous ça avec les disques qu’on aime, pas vrai ? S’en imprégner pour déclarer à la fin : « Oui, je l’ai bien écouté, je peux te dire ce que j’en pense ». Je fais toujours ça avec les albums que j’apprécie. (En ce moment, je suis dans une période Nine Inch Nails et dire le nombre de fois où j’ai passé Year Zero m’est impossible.) J’aime écouter les différents instruments, connaître les paroles, repasser en boucle certains morceaux. Cela dit, lorsque j’ai commencé à lire les interviews de Jack White qui sortaient, à acheter certains journaux anglo-saxons dont il faisait la couverture et à repartir à la recherche des œuvres qu’il citait, il a fallu me rendre à l’évidence.

Le bougre faisait son grand retour dans ma vie.

Damn.

En fait, il me rappelait surtout qu’il n’était jamais parti. Ce qui m’a jetée dans une grande phase d’interrogations et, finalement, poussée à écrire cet article. La question que je me pose, la voici : dans quelle mesure Jack White a-t-il déterminé ce que je suis devenue ? Plus largement, à quel point un artiste peut-il influencer ce que l’on devient ?

A la fin de son essai, William Giraldi écrit que l’on devient obsédé par un artiste parce qu’on veut lui ressembler et qu’on envie ses capacités. On finit ensuite par trouver sa propre voie, et l’obsession n’a plus de raison d’être :

Artists obsess over other artists, over the masters, because we want to be them, want their aptitude and cunning and force in the world. We want to touch our targets of veneration because we’d like to filch pocketfuls of their godliness with the wish of becoming gods ourselves. We obsess over what is doled to us in pieces but denied to us in total, but only until we gain the daring to achieve our own brand of mastery.

Soit. Agreed. Pourtant, le lien que je ressens pour Jack White et sa musique est toujours aussi fort qu’avant, alors que je le croyais atténué. Même si, précisément, j’ai trouvé ma voie. Pourquoi ?

Revenons au commencement. A 17 ans, j’entends pour la première fois l’album des Raconteurs Consolers of the Lonely chez moi, et je suis instantanément captivée. Je connaissais Jack White de réputation, mais je n’avais jamais accroché au peu de chansons White Stripes que j’avais entendues. Je ne sais pas ce qui s’est passé ce jour-là, mais je me souviens très exactement de la phrase que j’ai prononcée, dans un état d’euphorie inconnu : « Je savais bien que Jack White arriverait à la maison ! ». Six ans plus tard, je ne me l’explique toujours pas. Dans la foulée, je suis allée à la médiathèque la plus proche pour emprunter Get Behind Me Satan, dont la pochette me faisait de l’œil depuis sa sortie. (Par la suite, je me suis procuré toute la discographie de Jack White en un temps record.) Je place le disque dans le lecteur. Et à My Doorbell, c’est le début de la fin : j’ai envie de monter un groupe et de faire des chansons.

Forever For Her (Is Over For Me) me motive comme jamais :

Well, let’s do it, let’s get on a plane and just do it
Like the birds and the bees and get to it
Just get out of town and forever be free

Quant à As Ugly As I Seem, c’est la chanson que j’attendais depuis toujours. Elle est encore aujourd’hui ma chanson favorite. C’était le début. J’avais 17 ans, j’étais jeune – et fort impressionnable –, mais j’étais loin de prévoir les conséquences qu’aurait Jack White sur mon existence. Je me suis mise à emprunter tous les albums qu’il citait en interview, et c’est ainsi que j’ai fait mon éducation musicale. Grâce à lui, j’ai découvert le blues des années 30, le garage rock et le cinéma d’Orson Welles, pour ne citer que ça. J’ai lu des choses que je n’aurais jamais lues autrement, sur tous les sujets, parce que notre homme est polymathe, évidemment. Aller lire ou regarder ce que des artistes que j’aime citent est une méthode que j’utilise encore – bien pratique lorsqu’on est à cours d’idées.

Pour les Dead Weather, il a aussi décoré sa batterie avec l’image des trois épouses de Dracula dans la version de Tod Browning (1931).

L’année suivante, je suis entrée à l’université et j’ai fondé mon premier groupe, Tinker Bell, avec une amie. (Qui s’appelait Meg. Je la connaissais bien avant les White Stripes, voyons cela comme une heureuse coïncidence. Ajoutons à cela qu’elle a le même caractère que l’illustre batteuse, que je suis pâle avec des cheveux sombres et bouclés et que je parle beaucoup. Vous voyez le truc.) A l’exception d’un mini concert improvisé à la fac cette année-là, le groupe n’a jamais dépassé les frontières de notre appartement. Il nous reste quelques enregistrements bricolés avec les moyens du bord. La même année, après un an de panne d’écriture, je me suis remise à griffonner, inspirée par la musique de Jack White. D’abord un conte gothique, des petites histoires, puis mon premier roman, Clothilde & Adhémar, qui a été publié aux éditions La Bouquinerie en Décembre 2010. L’histoire se déroule au Moyen-Age. Un jeune homme dont on ignore tout, Adhémar, arrive un jour dans un château. Deux personnages en particulier gravitent autour de lui : un chevalier, Enguerrand, qui le prend en amitié tout en décidant de percer son secret, et la dame des lieux, Clothilde, qui se retrouve envoûtée par Adhémar. C’est une histoire très sombre, où les passions des différents personnages ont des conséquences dramatiques. Le héros était en grande partie inspiré par… Jack White, eh oui. Je me souviens avoir fait tourner en boucle Blue Veins en rédigeant le dernier chapitre. Au début du livre, j’ai mis deux citations, une d’Oscar Wilde et une des Dead Weather, extraite de Will There Be Enough Water. White et Wilde figurent tous deux dans mes remerciements. (Qui sont bien trop débordants et sentimentaux, mais j’étais jeune, encore une fois.)

Ma première phase est passée, et je me suis intéressée à d’autres groupes. Black Rebel Motorcycle Club a aussi eu son importance. Moindre que celle de White, mais une importance qui se manifeste toujours. Rétrospectivement, c’est Jack White qui a provoqué ma passion pour la musique, mon envie d’écrire dessus et de rencontrer des musiciens, ce que j’ai commencé à faire ici et là, pour des blogs… Je sais aussi que je tiens de lui mon éthique de travail : j’aime faire les choses vite et bien. Si je suis impliquée dans un projet, j’aime m’y plonger immédiatement, me concentrer dessus et le réaliser le plus vite possible. Si un projet ne me captive pas tout de suite, ça ne vaut pas le coup. (C’est particulièrement vrai pour les chansons que je bricole : celles que je mets du temps à finir sont systématiquement inutiles et ennuyeuses.) L’écriture de mon premier roman m’a pris trois mois. Celle du roman-feuilleton publié deux ans plus tard pour un quotidien pour lequel je travaillais, quelques semaines. Même chose pour les articles que j’ai publié l’an dernier sur les symboles et l’esthétique de Jack White pour le site Whitestripes.fr : je n’ai fait que ça pendant des jours dès l’instant où on me les a commandés. (Résultat, j’ai appris qu’ils avaient été utilisés pour une thèse – s’il savait.)

Bref, de l’eau a coulé sous les ponts. On arrive en 2014. Six ans plus tard, j’ai déménagé. Je continue toujours à écrire, bien sûr, mais davantage pour le journalisme, ces derniers temps. J’ai publié des articles sur le webzine MIIY, pour qui j’ai interviewé des musiciens. J’ai aussi eu la chance immense de participer à des projets artistiques, comme une adaptation sixties des Femmes Savantes pour le théâtre où j’ai chanté et joué, ou le doublage d’un court-métrage. J’ai aussi fondé un nouveau groupe, The Venetian Sisterhood, avec qui j’ai enregistré des démos en studio la semaine dernière. Et là, c’est le drame. Entendons-nous bien : ce qu’on fait n’a rien à voir avec Jack White. C’est une musique gothique, avec des influences médiévales parfois et, bon. Mais quand je me suis retrouvée dans le studio, je me suis rendue compte que la façon dont je concevais la musique n’était pas si différente de celle d’un grand pâlichon hirsute. La jeune femme qui chante et écrit dans ce groupe avec moi m’a d’ailleurs taquinée sur ma manie de vouloir conserver certains accidents sur l’enregistrement, ou mon émerveillement face à l’idée de mettre trois voix dans le refrain – au lieu des deux initialement prévues.

Plutôt que de m’enfermer dans ma chambre et de tourner en rond en me posant des questions, je préfère écrire. Récemment, je me suis demandée si j’avais voulu devenir journaliste juste pour avoir la chance de rencontrer Jack White un jour. Je ne le pense pas. Ça a dû motiver mon choix, bien sûr, mais ce n’est pas la raison principale. J’aime écrire depuis toujours, et rencontrer toutes sortes de gens – voilà les raisons. Et si j’ai la chance de pouvoir rencontrer des musiciens et d’écrire sur eux, comme ça a été le cas cette année avec Lauren Housley et The Legendary Tigerman, alors je suis très heureuse de cet accomplissement. Il suffit juste de passer à l’étape suivante. Celle du dessus. Peut-être rencontrer le Maître un jour – et je sais exactement quel genre de questions je voudrais lui poser.

Est-ce que Jack White est responsable de la façon dont je travaille, d’une certaine vision que j’ai du monde, de mon envie de faire le plus de choses possible ? En grande partie. Si je me tourne vers les six années écoulées depuis que les premières notes de l’album des Raconteurs ont résonné dans mes oreilles, je me dis que je ne m’en suis pas si mal tirée. J’ai raconté une petite partie de ce qui m’est arrivé grâce à (ou à cause de) Jack dans cet article. Je pense encore à plein d’autres choses qui ne seraient pas survenues sans lui, aux gens que je n’aurais jamais rencontrés. La sortie de Lazaretto les a ravivées, et m’a aussi rappelé toutes les choses qui me restaient à faire avant de saluer la Grande Faucheuse. Merci Jack White ?

Avec de la chance, je pourrais peut-être le lui dire en personne, un jour. Après tout, une élève se doit de remercier celui qui l’a formée.

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