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Jack White III

J’ai publié de la fiction ici ces derniers temps. Rassurez-vous, je n’oublie pas que ce blog a aussi été fait pour poster des articles en tous genres, même des essais et des élucubrations parfois farfelues – sans compter les interviews.

Période oblige, il me faudrait parler de Jack White. Après tout, Lazaretto, son deuxième album solo, est sorti il y a quelques semaines à peine. Si je n’ai pas encore eu l’occasion d’aller voir le monsieur en concert, je m’amuse à suivre sa tournée (entre autres) en regardant les concerts qui sont retransmis par les festivals où le grand pâlichon passe. Mais j’ai déjà tellement parlé de lui sur ce blog, par exemple ici, ici ou même (et oui, l’histoire de l’inventeur et son élève…) qu’il me semblait redondant de recommencer.

Et puis, ce matin, j’ai lu un essai de William Giraldi dans les transports. L’auteur, professeur de littérature à l’université de Boston, a écrit une non-fiction brillante et non dénuée d’humour sur son obsession pour Jack White, intitulée Jack My Heart. Une obsession qui n’existe plus, comme il l’a expliqué dans une interview, même si Giraldi reste passionné par le musicien. Quant à moi, même si je n’ai jamais repeint ma chambre en rouge et blanc (pas même accroché un poster des White Stripes dans ma chambre !), ce texte m’a amenée à réfléchir. Mine de rien, il évoquait avec justesse des éléments très profonds et je me suis forcément reconnue dans certains aspects, même si les conséquences d’une telle passion ont été différentes pour Giraldi et pour moi.

Lazaretto est un bon album, inutile de le cacher. Peut-être moins bon que Blunderbuss, le premier album solo de Jack White, et je sais que beaucoup ne seront pas de cet avis. Blunderbuss me semble plus uni, plus cohérent que son petit frère, qui a tendance à s’éparpiller un peu. (J’ai ma théorie là-dessus : d’ordinaire, White met quelques semaines à mettre en boîte un album. Lazaretto lui a pris dix-huit mois – assez pour essayer trop de choses et perdre son fil conducteur.)

Il n’empêche. Fidèle à mon habitude, je me suis contentée d’écouter les singles, je n’ai rien téléchargé et je suis allée acheter l’album à la Fnac le lendemain de sa sortie. (La veille était un jour férié.) Comme par hasard, le jour où je rendais mon mémoire de fin d’études. La fin d’une époque, en quelque sorte. En six ans, j’ai grandi, accompli des choses et su ce que je voulais faire. Jack White n’aurait plus le même impact sur moi qu’à dix-sept ans. La passion se serait diluée avec toutes les expériences que j’aurais vécues, tous les disques que j’aurais écoutés et tous les livres que j’aurais lus depuis. Seulement, en rentrant chez moi pour glisser le disque dans le lecteur tout en feuilletant le livret de Lazaretto, la même impression est venue. Celle de retrouver un ami très cher, et disons-le tout net, le maître qui m’a tout appris. We meet again, girl.

Rien ne me prédestinait à ressentir ça. (J’entends déjà une amie me dire : « Tu es dans le déni ». Soit. Je ne m’attendais guère à ressentir ça.) En six ans, j’ai gagné en objectivité, la preuve : Lazaretto a des défauts, je suis la première à le dire. Ces dernières années, il m’est arrivé d’être agacée par White (voire carrément remontée), de désapprouver certains de ses actes et décisions. Et heureusement ! J’étais sortie de ma phase d’adoration première pour avoir plus de recul. Ainsi, je m’étais affranchie, pensais-je. Blunderbuss m’avait beaucoup touchée, mais en 2014 Lazaretto trouverait une jeune femme sûre d’elle et un brin cynique, qui saluerait Jack d’un signe de la main, passerait de précieux moments avec lui avant de retourner à ses occupations.

J’ai écouté l’album un grand nombre de fois, et je l’écoute toujours. On fait tous ça avec les disques qu’on aime, pas vrai ? S’en imprégner pour déclarer à la fin : « Oui, je l’ai bien écouté, je peux te dire ce que j’en pense ». Je fais toujours ça avec les albums que j’apprécie. (En ce moment, je suis dans une période Nine Inch Nails et dire le nombre de fois où j’ai passé Year Zero m’est impossible.) J’aime écouter les différents instruments, connaître les paroles, repasser en boucle certains morceaux. Cela dit, lorsque j’ai commencé à lire les interviews de Jack White qui sortaient, à acheter certains journaux anglo-saxons dont il faisait la couverture et à repartir à la recherche des œuvres qu’il citait, il a fallu me rendre à l’évidence.

Le bougre faisait son grand retour dans ma vie.

Damn.

En fait, il me rappelait surtout qu’il n’était jamais parti. Ce qui m’a jetée dans une grande phase d’interrogations et, finalement, poussée à écrire cet article. La question que je me pose, la voici : dans quelle mesure Jack White a-t-il déterminé ce que je suis devenue ? Plus largement, à quel point un artiste peut-il influencer ce que l’on devient ?

A la fin de son essai, William Giraldi écrit que l’on devient obsédé par un artiste parce qu’on veut lui ressembler et qu’on envie ses capacités. On finit ensuite par trouver sa propre voie, et l’obsession n’a plus de raison d’être :

Artists obsess over other artists, over the masters, because we want to be them, want their aptitude and cunning and force in the world. We want to touch our targets of veneration because we’d like to filch pocketfuls of their godliness with the wish of becoming gods ourselves. We obsess over what is doled to us in pieces but denied to us in total, but only until we gain the daring to achieve our own brand of mastery.

Soit. Agreed. Pourtant, le lien que je ressens pour Jack White et sa musique est toujours aussi fort qu’avant, alors que je le croyais atténué. Même si, précisément, j’ai trouvé ma voie. Pourquoi ?

Revenons au commencement. A 17 ans, j’entends pour la première fois l’album des Raconteurs Consolers of the Lonely chez moi, et je suis instantanément captivée. Je connaissais Jack White de réputation, mais je n’avais jamais accroché au peu de chansons White Stripes que j’avais entendues. Je ne sais pas ce qui s’est passé ce jour-là, mais je me souviens très exactement de la phrase que j’ai prononcée, dans un état d’euphorie inconnu : « Je savais bien que Jack White arriverait à la maison ! ». Six ans plus tard, je ne me l’explique toujours pas. Dans la foulée, je suis allée à la médiathèque la plus proche pour emprunter Get Behind Me Satan, dont la pochette me faisait de l’œil depuis sa sortie. (Par la suite, je me suis procuré toute la discographie de Jack White en un temps record.) Je place le disque dans le lecteur. Et à My Doorbell, c’est le début de la fin : j’ai envie de monter un groupe et de faire des chansons.

Forever For Her (Is Over For Me) me motive comme jamais :

Well, let’s do it, let’s get on a plane and just do it
Like the birds and the bees and get to it
Just get out of town and forever be free

Quant à As Ugly As I Seem, c’est la chanson que j’attendais depuis toujours. Elle est encore aujourd’hui ma chanson favorite. C’était le début. J’avais 17 ans, j’étais jeune – et fort impressionnable –, mais j’étais loin de prévoir les conséquences qu’aurait Jack White sur mon existence. Je me suis mise à emprunter tous les albums qu’il citait en interview, et c’est ainsi que j’ai fait mon éducation musicale. Grâce à lui, j’ai découvert le blues des années 30, le garage rock et le cinéma d’Orson Welles, pour ne citer que ça. J’ai lu des choses que je n’aurais jamais lues autrement, sur tous les sujets, parce que notre homme est polymathe, évidemment. Aller lire ou regarder ce que des artistes que j’aime citent est une méthode que j’utilise encore – bien pratique lorsqu’on est à cours d’idées.

Pour les Dead Weather, il a aussi décoré sa batterie avec l’image des trois épouses de Dracula dans la version de Tod Browning (1931).

L’année suivante, je suis entrée à l’université et j’ai fondé mon premier groupe, Tinker Bell, avec une amie. (Qui s’appelait Meg. Je la connaissais bien avant les White Stripes, voyons cela comme une heureuse coïncidence. Ajoutons à cela qu’elle a le même caractère que l’illustre batteuse, que je suis pâle avec des cheveux sombres et bouclés et que je parle beaucoup. Vous voyez le truc.) A l’exception d’un mini concert improvisé à la fac cette année-là, le groupe n’a jamais dépassé les frontières de notre appartement. Il nous reste quelques enregistrements bricolés avec les moyens du bord. La même année, après un an de panne d’écriture, je me suis remise à griffonner, inspirée par la musique de Jack White. D’abord un conte gothique, des petites histoires, puis mon premier roman, Clothilde & Adhémar, qui a été publié aux éditions La Bouquinerie en Décembre 2010. L’histoire se déroule au Moyen-Age. Un jeune homme dont on ignore tout, Adhémar, arrive un jour dans un château. Deux personnages en particulier gravitent autour de lui : un chevalier, Enguerrand, qui le prend en amitié tout en décidant de percer son secret, et la dame des lieux, Clothilde, qui se retrouve envoûtée par Adhémar. C’est une histoire très sombre, où les passions des différents personnages ont des conséquences dramatiques. Le héros était en grande partie inspiré par… Jack White, eh oui. Je me souviens avoir fait tourner en boucle Blue Veins en rédigeant le dernier chapitre. Au début du livre, j’ai mis deux citations, une d’Oscar Wilde et une des Dead Weather, extraite de Will There Be Enough Water. White et Wilde figurent tous deux dans mes remerciements. (Qui sont bien trop débordants et sentimentaux, mais j’étais jeune, encore une fois.)

Ma première phase est passée, et je me suis intéressée à d’autres groupes. Black Rebel Motorcycle Club a aussi eu son importance. Moindre que celle de White, mais une importance qui se manifeste toujours. Rétrospectivement, c’est Jack White qui a provoqué ma passion pour la musique, mon envie d’écrire dessus et de rencontrer des musiciens, ce que j’ai commencé à faire ici et là, pour des blogs… Je sais aussi que je tiens de lui mon éthique de travail : j’aime faire les choses vite et bien. Si je suis impliquée dans un projet, j’aime m’y plonger immédiatement, me concentrer dessus et le réaliser le plus vite possible. Si un projet ne me captive pas tout de suite, ça ne vaut pas le coup. (C’est particulièrement vrai pour les chansons que je bricole : celles que je mets du temps à finir sont systématiquement inutiles et ennuyeuses.) L’écriture de mon premier roman m’a pris trois mois. Celle du roman-feuilleton publié deux ans plus tard pour un quotidien pour lequel je travaillais, quelques semaines. Même chose pour les articles que j’ai publié l’an dernier sur les symboles et l’esthétique de Jack White pour le site Whitestripes.fr : je n’ai fait que ça pendant des jours dès l’instant où on me les a commandés. (Résultat, j’ai appris qu’ils avaient été utilisés pour une thèse – s’il savait.)

Bref, de l’eau a coulé sous les ponts. On arrive en 2014. Six ans plus tard, j’ai déménagé. Je continue toujours à écrire, bien sûr, mais davantage pour le journalisme, ces derniers temps. J’ai publié des articles sur le webzine MIIY, pour qui j’ai interviewé des musiciens. J’ai aussi eu la chance immense de participer à des projets artistiques, comme une adaptation sixties des Femmes Savantes pour le théâtre où j’ai chanté et joué, ou le doublage d’un court-métrage. J’ai aussi fondé un nouveau groupe, The Venetian Sisterhood, avec qui j’ai enregistré des démos en studio la semaine dernière. Et là, c’est le drame. Entendons-nous bien : ce qu’on fait n’a rien à voir avec Jack White. C’est une musique gothique, avec des influences médiévales parfois et, bon. Mais quand je me suis retrouvée dans le studio, je me suis rendue compte que la façon dont je concevais la musique n’était pas si différente de celle d’un grand pâlichon hirsute. La jeune femme qui chante et écrit dans ce groupe avec moi m’a d’ailleurs taquinée sur ma manie de vouloir conserver certains accidents sur l’enregistrement, ou mon émerveillement face à l’idée de mettre trois voix dans le refrain – au lieu des deux initialement prévues.

Plutôt que de m’enfermer dans ma chambre et de tourner en rond en me posant des questions, je préfère écrire. Récemment, je me suis demandée si j’avais voulu devenir journaliste juste pour avoir la chance de rencontrer Jack White un jour. Je ne le pense pas. Ça a dû motiver mon choix, bien sûr, mais ce n’est pas la raison principale. J’aime écrire depuis toujours, et rencontrer toutes sortes de gens – voilà les raisons. Et si j’ai la chance de pouvoir rencontrer des musiciens et d’écrire sur eux, comme ça a été le cas cette année avec Lauren Housley et The Legendary Tigerman, alors je suis très heureuse de cet accomplissement. Il suffit juste de passer à l’étape suivante. Celle du dessus. Peut-être rencontrer le Maître un jour – et je sais exactement quel genre de questions je voudrais lui poser.

Est-ce que Jack White est responsable de la façon dont je travaille, d’une certaine vision que j’ai du monde, de mon envie de faire le plus de choses possible ? En grande partie. Si je me tourne vers les six années écoulées depuis que les premières notes de l’album des Raconteurs ont résonné dans mes oreilles, je me dis que je ne m’en suis pas si mal tirée. J’ai raconté une petite partie de ce qui m’est arrivé grâce à (ou à cause de) Jack dans cet article. Je pense encore à plein d’autres choses qui ne seraient pas survenues sans lui, aux gens que je n’aurais jamais rencontrés. La sortie de Lazaretto les a ravivées, et m’a aussi rappelé toutes les choses qui me restaient à faire avant de saluer la Grande Faucheuse. Merci Jack White ?

Avec de la chance, je pourrais peut-être le lui dire en personne, un jour. Après tout, une élève se doit de remercier celui qui l’a formée.

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Conférence de Jack White au Trinity College de Dublin

Le 18 Novembre 2009

Voici la traduction de la conférence donnée par Mr Jack White III au Trinity College, dont le sol fut foulé par d’autres messieurs prestigieux avant lui, dont Bram Stoker et Oscar Wilde… J’espère que cette traduction vous plaira.
White s’y montre spirituel, érudit, inspiré et exigeant. Et toujours passionnant à lire.

En recevant la médaille honorifique de la Société Philosophique de Dublin :

Eh bien, j’ai été distingué de plusieurs façons, mais celle-ci est la plus agréable.

Avez-vous des héros littéraires ?

Beaucoup. Shakespeare fut probablement le premier, une fois sorti de l’enfance, à me parler d’une manière différente et à m’ouvrir à une nouvelle vie. Tout le reste faisait figure de contes pour enfants jusque là. Ce que vous avez dit [à propos d’Oscar Wilde] est amusant, parce qu’il y avait une citation d’Oscar Wilde dans l’aéroport où nous étions ce matin qui disait qu’il n’avait rien d’autre à déclarer à la douane que son génie.

Et qui aviez-vous accroché à votre mur quand vous étiez enfant ?

Oscar Wilde et Shakespeare.

Comment était-ce de tourner It Might Get Loud avec Jimmy Page et The Edge ?

C’était une expérience assez incroyable de travailler avec ces deux gars. J’aimais l’idée que le film n’ait pas vraiment de sujet défini : il y avait deux phrases qui disaient « C’est à propos de guitares et de guitaristes. Laissons-les discuter et voyons ce qui se passe. » Certaines personnes ont cinq énormes pages de résumé pour expliquer leur façon de concevoir un projet : un film, une vidéo, un projet, un album ou ce que vous voudrez, et il semble devenir de moins en moins intéressant au fur et à mesure que vous le lisez. Mais quand la porte est ouverte à la créativité et laisse les choses se faire spontanément, ça m’intéresse. C’était donc formidable, et bien sûr, ce sont tout simplement de fabuleux musiciens.

Jimmy Page a été le premier à se lancer dans une chanson ?

Il a été le premier à prendre sa guitare et à commencer à jouer. Sur le moment, c’était saisissant. Nous étions pris de court, en train de penser : « Je ne m’attendais pas à ce que ça commence si vite ». C’était un moment assez drôle.

Avez-vous eu une crise d’anxiété en face de Page ?

Ces derniers jours, j’ai lu des choses à propos de la philosophie de l’anxiété, et c’est une notion très intéressante pour moi, parce que ce mot possède environ 16 significations différentes à mes yeux. Parfois, je pense que cela signifie la nervosité – je ne suis pas vraiment nerveux, je me suis toujours demandé pourquoi je ne l’étais pas plus ; peut-être que cela a un rapport avec le fait que la nervosité est synonyme de redouter. J’y ai beaucoup pensé récemment, parce que la définition que j’ai de l’anxiété, c’est une énergie qui peut être transformée en quelque chose de bénéfique, une sorte d’énergie cinétique.

Le trac peut aussi être une bonne chose…

Je suppose. Je suis très curieux à ce sujet, parce que je l’ai peut-être et que je l’ignore.

Quelle est la première chanson que vous avez jouée face aux deux autres ?

Je ne m’en souviens pas. Je crois que nous avons écouté des disques, en fait. Nous avons écouté Rumble de Link Wray ensemble, et il me semble que Jimmy et moi l’avons jouée, juste les trois accords.

Pensez-vous que vous pouvez tirer de la sagesse de vos aînés ?

Oh, sans aucun doute, énormément. Vous pouvez vous transformer en gamin, tirer sur leurs chemises et les agacer, vraiment. C’est plus difficile de trouver un moment particulier pour leur parler de certaines choses. C’est flagrant lorsque quelqu’un est dans une pièce et que tout le monde sait ce qu’il a fait. C’est un éléphant dans cette pièce, soyez-en sûrs. Surtout quand vous faites le même métier. Vous pensez que vous lui parlerez peut-être plus facilement parce que vous êtes tous les deux artistes, poètes ou musiciens. Vous pensez que vous aurez moins de mal à en parler. Mais, parfois, c’est plus difficile.

Quels sont les gens que vous avez rencontrés dont vous avez le plus appris ?

Probablement les artisans – les menuisiers, plombiers et d’autres du même genre qui m’ont vraiment interpellé, réellement intéressé. Cela m’inspire vraiment. Je peux m’asseoir et parler pendant des heures avec quelqu’un dans une quincaillerie à propos d’une scie de long, par exemple. Je suis très inspiré par l’idée et la beauté pour lesquelles ils font tout leur possible, qui tend presque au perfectionnisme lorsqu’il s’agit de finir leur travail. C’est fascinant d’adapter cette idée à l’artisanat de la composition, et d’y appliquer leurs techniques.

Sur Nashville :

C’est une ville étrange, une ville que le temps a oubliée, d’une certaine manière. Mais elle est aussi tellement actuelle, méga-commerciale, méga-capitaliste, et axée sur le côté commercial de la musique. C’est un endroit très intéressant où vivre, en ce qui me concerne. Vous pouvez observer les choses sous tous les angles, ce que, je pense, vous êtes obligé de le faire une fois que votre art a été accepté au sens populaire du terme.

La country pure est-elle toujours présente à Nashville ?

Elle est là, dans la périphérie. En fait, j’ai un label, maintenant, qui recherche ces gens. J’essaie de retrouver des collections de hits éphémères des années 50 et 60 et de savoir ce que leurs chanteurs font maintenant, parce que je suppose qu’un grand nombre d’entre eux vivent toujours dans le Tennessee. J’essaie d’en retrouver un certain nombre pour voir s’ils ont toujours une étincelle en eux.

Le nom de votre label – Third Man Records – est-il un hommage à Orson Welles ?

Le nom vient de celui de mon magasin de tapisserie, quand j’avais une vingtaine d’années. Ma carte de visite était un clou d’ameublement que j’avais peint avec du sang. Le slogan était : « Vos meubles ne sont pas morts » (« Your furniture’s not dead », qui deviendra « Your turntable’s not dead » avec TMR – ndt). Un grand nombre de gens à qui je le donnais ne savait pas vraiment quoi en faire.

Votre collaboration avec Loretta Lynn fut-elle la première fois où vous avez frayé avec l’aristocratie de Nashville ?

En effet. Meg et moi avions enregistré notre troisième album à Memphis et nous adorions la country, mais nous ne savions absolument pas comment nous rapprocher de cet univers. Loretta nous a appelés, parce que nous lui avions dédié notre album : nous étions passés devant sa maison en revenant de Memphis. Nous avons vu un panneau indiquant sa maison, son célèbre ranch d’Hurricane Mills, alors Meg et moi avons roulé jusque là pour jeter un coup d’œil. Meg fumait une cigarette et l’a jetée par la fenêtre sur son allée. Nous nous sommes disputés. J’ai dit : « Il ne faut pas jeter une cigarette devant la maison de Loretta, ce n’est pas très poli. » Elle s’en fichait, de toute façon, mais c’est devenu une dispute amusante, alors nous avons décidé de lui dédier notre album, en l’honneur de cette cigarette. Finalement, Loretta nous a invités chez elle – elle nous a préparé du poulet et des quenelles. C’est une bonne cuisinière.

N’avez-vous pas joué une chanson avec Bob Dylan au Ryman Auditorium que vous n’aviez jamais jouée ensemble avant ?

Nous avons répété quelques chansons de Hank William ce jour-là, mais il n’a pas aimé la façon dont elles étaient chantées. Il voulait éteindre la sono et nous a laissés chanter en acoustique. Le Ryman Auditorium est une église, après tout, et ma première performance au Ryman a été avec Bob Dylan.

C’est amusant : je me suis marié sur la scène de cette église. Je recherchais un endroit pour vivre à Nashville avec ma femme. Nous nous étions déjà mariés sur la rivière amazonienne quelques mois plus tôt. Nous étions en ville, en train de chercher un endroit, et pendant notre pause déjeuner, nous sommes allés à la préfecture tenter de nous faire marier légalement. On nous a dit qu’on devait planifier ça avec un juge et réserver un jour, mais nous avons répondu que nous étions seulement en ville ce jour-là. Non loin du lieu où nous avions acheté notre licence de mariage était affiché un flyer pour un gars nommé Pasteur Red Michael, qui disait : « Je marierai n’importe qui n’importe où pour 150 dollars ». Je l’ai appelé et je lui ai dit que nous voulions nous marier. Il a demandé quand, j’ai répondu : « Que dites-vous de maintenant ? », et il a dit « C’est bon pour moi ». Il a commencé à demander où nous souhaitions être mariés. J’ai répondu que je ne connaissais pas très bien Nashville et que nous ne savions pas forcément où. Alors il a répondu : « Pourquoi pas les marches du Ryman Auditorium ? ». J’ai pensé que ce serait génial, je lui ai dit qu’on le retrouverait là-bas dans quinze minutes. On est y allés, on est sortis de la voiture en le cherchant des yeux, mais on ne savait pas où il était. Nous attendions d’être mariés sur les escaliers.

Et cette Cadillac s’arrête, le Pasteur Red Michael en sort et nous signons la licence de mariage sur le capot de la Cadillac. Quelqu’un sort du Ryman, me reconnaît et me demande si je suis en train de me marier. Je lui dis que oui. Il demande : « Vous voulez vous marier sur scène ? Entrez et mariez-vous sur scène. ». Je réponds : « D’accord, bien sûr ». Nous sommes entrés et nous nous sommes mariés pile en face du micro. C’était un moment incroyable : je n’étais jamais entré dans ce bâtiment, alors pour une première, être sur scène en face du fameux micro, et me marier en même temps, c’était assez bouleversant. C’est devenu encore plus drôle quand on nous a demandé de partir, parce qu’apparemment George ((Elton?)) était décédé et qu’on venait tourner une vidéo.

Comment le court-métrage Coffee and Cigarettes avec Meg est né ?

C’est devenu la scène d’un film intitulé Coffee and Cigarettes, qu’on a fait avec Jim Jarmusch. Jim était venu nous voir jouer, Meg et moi, à l’Union Square. Il nous a ramené dans son bureau, on passait juste du temps avec lui, il avait un petit pamphlet contre les bobines Tesla. Cinq ou six mois plus tard, il nous a rappelés : « Je suis en train de faire ce film appelé Coffee and Cigarettes, vous voudriez bien toi et Meg faire un court-métrage avec moi ? ». J’ai répondu « Oui, ce serait génial ». Il en avait déjà fait un avec Tom Waits et Iggy Pop, donc j’ai dit oui.

…On a aussi essayé de l’avoir pour qu’il réalise une vidéo pour les White Stripes. On voulait filmer la fausse électrocution d’un éléphant vivant, parce qu’Edison avait vraiment fait cela à Tesla, afin de prouver que la théorie de Tesla sur le courant alternatif était fausse. Il avait entrepris d’électrocuter des animaux, et il a vraiment électrocuté un éléphant, l’a tué et l’a filmé, pour réfuter la théorie de Tesla. Nous voulions recréer cette scène, mais c’était extrêmement cher.

Est-ce que vos goûts musicaux ont changé en même temps que votre évolution de musicien ?

Je réévalue mes goûts musicaux quotidiennement. J’essaie d’oublier mes préjugés et de repenser à la musique. J’essaie d’ouvrir mes yeux et de m’ouvrir à quelque chose que je n’aimerais pas normalement. Il y a quelques mois, j’ai essayé d’écouter La Roux, et j’ai vraiment essayé de rentrer dans une de ses chansons. Récemment, j’ai lu des choses à propos de la philosophie de l’authenticité, sur ce qui est authentique et ce que nous ressentons comme étant réellement authentique. Je sens toujours que c’est ce que je recherche dans la musique et dans l’art : je recherche la vérité, je recherche quelque chose de beau. Dans mon esprit, j’imagine cela comme étant authentique. Parfois, j’ignore si les artistes que j’aime le plus sont vraiment authentiques. J’ignore si Bob Dylan et Tom Waits sont aussi authentiques que je le pense. Peut-être que non. Peut-être qu’ils sont comme une création de David Bowie qu’ils ont fait eux-mêmes, et peut-être que nous sommes témoins du talent qu’ils ont à le faire… Je suis un descendant de Polonais et d’Écossais qui a grandi à Detroit dans les années 70, pourquoi jouerais-je du blues ? Dylan était un gamin juif du Minnesota, pourquoi jouait-il ces chansons de Woody Guthrie d’Oklahoma quand il a commencé ? Et ainsi de suite.

Parfois, vous commencez à penser que peut-être Britney Spears ou quelqu’un du même genre qui fait exactement ce qu’il veut de la façon dont il sait le mieux s’y prendre est plus authentique que n’importe lequel de ces gens que vous pourrez mentionner. C’est difficile à dire. Vous écoutez toute cette musique à travers un filtre tout le temps. Je l’écoute toujours à travers un filtre. Je suppose que Robert Johnson et Charlie Patton sont authentiques, je les aime pour cela, et je pense que le mystère qui entoure la façon dont ils ont enregistré leur musique est ce que je veux que la musique soit. La beauté d’une telle chose, qui surgit de nulle part, est exactement ce que j’espère. Puis, vous lisez des histoires qui disent que Robert Johnson a aussi joué des chansons de Bing Crosby dans les supermarchés, et c’est très inauthentique. Je suppose que ce sont les deux facettes de la médaille.

Il y a des fois où vous pouvez être au supermarché et entendre une chanson à la radio, et cela n’a pas besoin d’en dire long ou d’être magnifique – dans le sens où vous pouvez en retirer une profondeur ou un changement d’existence –, mais c’est appréciable à un niveau différent. J’adore Charlie Patton et ses chansons proviennent d’une génération complètement différente de la mienne, mais j’écoute aussi Ace of Base et je pense qu’ils font quelque chose de vraiment bon. Je ne sais pas comment différencier cela, parfois. Je pense que c’est un vrai paradoxe philosophique si on y réfléchit attentivement, si on décide réellement de quel côté de la beauté on veut être. J’ai besoin que cela soit authentique, particulièrement concernant la musique que je fais moi-même. Mais je pense que parfois, les gens qui sont des amateurs d’art et de musique, surtout les auditeurs, ignorent la différence ou s’en moquent. C’est manifeste dans une grande partie de la technologie numérique et la façon dont on enregistre la musique actuellement : plus c’est artificiel, plus ça marche.

Il y a une responsabilité quand vous commencez à enregistrer une chanson, en tant que producteur, compositeur ou performer. Vous y êtes dévoué, vous voulez que les gens l’entendent de la façon dont vous l’entendez et y répondent comme vous espérez qu’ils y répondent quand vous la créez. C’est vraiment, vraiment difficile à faire, à fixer sur l’enregistrement. Tout ce que je peux faire, c’est dire que je sais comment je ne veux pas que ça sonne. La bonne façon d’éviter ça est d’éviter la technologie numérique, les choses comme Auto-Tune et les effets qui créent une fausse impression d’authenticité. C’est très difficile de nos jours, parce que si vous êtes dans un jeune groupe et que vous voulez enregistrer en analogique, vous ne pouvez pas vous le permettre : les bandes sont très chères et c’est dur à faire. C’est une honte, parce qu’il y a du romantisme dans tout cela, en dehors de toute notion de luddisme contre la technologie geek. Vous passez pour un obscurantiste juste parce que vous voulez enregistrer de cette manière.

Votre plus grande réussite ?

Eh bien, j’ai deux enfants, ils ne pouvaient pas être là aujourd’hui.

Quelle musique aiment-ils ?

En ce moment, ils aiment une chanson intitulée Ole Buttermilk Sky de Hoagy Carmichael. Scarlett, ma fille, aime beaucoup cette chanson d’Édith Piaf que je ne sais pas prononcer – je l’ai sur disque mais je ne sais pas du tout la prononcer.

Un conseil aux futurs musiciens ?

La chose la plus simple à dire est d’être sincère dans ce qu’ils font au lieu de faire ce que les gens veulent d’eux. C’est la réponse facile. Je peux devenir plus compliqué et dire des choses comme : restez éloignés des tshirts et des pages myspace, qui sont vraiment une distraction plutôt que des garants d’authenticité. Vous devez démarrer par quelque chose qui a du sens pour vous. Si vous ne l’aimez pas, comment les autres gens l’aimeront-ils ? Si vous le faites pour que les gens l’aiment, ça ne réussira probablement pas.

Quand un album sort, vous devez finir par le jeter aux lions, en quelque sorte. C’est la difficulté. C’est comme si vous abandonniez un enfant à des étrangers. Mais la raison pour laquelle vous avez commencé, c’était pour le partager avec d’autres êtres humains, de toute façon. A ce stade, c’est un genre de champ de mines. Pas seulement pendant que vous créez, cela évolue à chaque instant.

Votre travail sur l’album hommage de Bob Dylan à Hank William est-il toujours d’actualité ?

Je ne sais pas ce que ça devient, j’ai enregistré ma participation il y a deux ans. Je ne sais pas exactement où l’album va. J’en étais vraiment satisfait, c’est probablement l’une des choses les plus particulières auxquelles j’aie participé. Je vis dans la rue où Hank William vivait à Nashville. J’ai feuilleté les paroles d’une de ses dernières chansons, qui a été retrouvée au pied du siège arrière de la voiture où il est décédé. J’ignore qui s’est attaqué à celle-là, j’ignore si quiconque l’a fait, mais l’une des chansons m’a parlé. Elle s’intitule You Know That I Know et ça m’a sidéré, ça s’est emparé de moi, et la chanson est devenue mienne. J’ai senti une sorte de connexion. J’ai demandé à Hank de m’aider à la finir, et je l’ai fait. En cinq minutes, c’était fini. Je l’ai jouée à Dylan quelques semaines plus tard et il en a dit du bien.

Sur la tapisserie :

Il y avait beaucoup de choses combinées quand j’avais mon magasin de tapisserie. Je faisais de la sculpture, j’étais dans un entrepôt rempli d’artistes, et j’avais mon magasin dedans. J’avais ma table de découpage et mes machines à coudre etc, mais je travaillais aussi la sculpture. J’avais aussi apporté une guitare, ce qui a fini par être une grosse erreur parce que cela m’a éloigné de pas mal de travail. Mais je suis devenu obsédé par le design et le le côté cartoonesque de ce business. Je me moquais que quelqu’un me tende un chèque de 500 dollars, ça partait juste dans la facture d’électricité ou autre, je m’en moquais. J’avais un camion jaune – tout était jaune, noir et blanc au magasin. J’écrivais les tickets de caisse au crayon et les clients ne comprenaient pas vraiment pourquoi, ils voulaient juste leurs vieux meubles rembourrés. J’avais l’impression d’être au Japon , je faisais un business dans un dessin animé. J’ai commencé à écrire des messages aux autres tapissiers, parce que je m’étais rendu compte qu’ils étaient les seuls à voir l’intérieur des chaises, alors j’ai pensé que j’allais commencer à leur écrire des messages, des blagues dont je pensais qu’eux seuls les découvriraient, peut-être. Puis, j’ai commencé à écrire de la poésie. J’avais un autre groupe appelé The Upholsterers (Les Tapissiers, ndt) à l’époque, quand le gars de qui j’avais appris le métier a eu le 25ème anniversaire de son magasin. On a donc enregistré un 45 tour de trois chansons qu’on a mis sur un vinyle translucide, avec des pochettes transparentes, on pouvait voir au travers. On en a fait 100 copies placées dans 100 pièces qu’il a rembourrées cette année-là. On ne pouvait même pas les passer aux rayons x pour vérifier si les vinyles étaient dedans à cause de leur nature transparente, donc ce sont des disques qui pourraient bien ne jamais être trouvés.

Quelques mots de plus sur l’authenticité :

Pourquoi puis-je vous dire que je suis allé au Arnold’s (un restaurant de Nashville, ndt) dans le Tennessee, mais pas que je suis allé chez la chaîne nationale de restaurants Denny’s à côté de l’autoroute de Pittsburgh ? Je ne vous raconterai jamais ça parce qu’il n’y aucune romance à le faire. Cette expérience n’aurait pas été assez belle pour entamer une discussion. Mais l’Amérique dont vous parlez est tout autour.

Le processus d’écriture :

Je me considère comme un mauvais conteur dans la vie réelle, quand je parle aux gens. Je sens que quand j’écris, j’ai une chance de faire ça bien, j’ai une chance de le dire de la bonne façon avec les mots que je voudrais utiliser. C’est ce qui se produit. Je finis par me focaliser sur tous les personnages de la chanson et par m’oublier. Cela semble presque ennuyeux de parler de moi : je connais déjà cette histoire. Mais ces personnages qui sont inspirés d’autres gens que je vois, cette histoire là paraît beaucoup plus intéressante pour moi et pour les gens qui l’écoutent. Je peux lui donner vie tôt ou tard et la jouer une centaine de fois.

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