[Attention : ce qui suit va spoiler sans vergogne Avengers : Endgame et la dernière saison de Game of Thrones. Et le dernier tome d’Artemis Fowl, aussi. Et Harry Potter – est-ce que ça compte ? Vous voilà prévenus.
Mon appréciation du personnage de Tyrion porte sur la version du personnage qu’on voit dans la série HBO, puisque je n’ai pas (encore ?) lu les livres. Fuyez, parce que ça commence tout de suite. Ceci étant dit, lançons-nous.]
La blague que j’avais tendance à faire depuis janvier, c’était : « 2019 est l’année qui verra tous mes personnages préférés de la pop culture mourir ». J’en listais trois : Tony Stark, Tyrion Lannister et Kylo Ren.
Nous sommes en juin, et le sort de deux d’entre eux a désormais été fixé. Tony Stark est officiellement mort pour le MCU, et Tyrion, étonnamment, a survécu. Ma surprise a été totale pour le second, si bien qu’à la fin du dernier épisode de Games of Thrones, j’ai solennellement déclaré aux amies qui étaient avec moi : « Excusez-moi, il faut que j’aille chercher des mouchoirs ». Je suis allée prendre des kleenex et j’ai pleuré de soulagement. On était loin des trois jours de deuil (et de larmes, suivis de semaines de confusion) subis à cause de la mort de Stark. Que voulez-vous, je suis une personne sensible.
Tyrion Lannister venait officiellement de briser la roue. Cette règle implicite qui veut que, dans les œuvres de fiction, un personnage très intelligent, qui a un passé peu glorieux, connaisse une rédemption par la mort. Dans The Iron Throne, le dernier épisode de Game of Thrones, Tyrion Lannister se voit proposer d’être Main du Roi. Il ne sera ni exécuté, ni emprisonné, ni exilé.
Grey Worm : This man is a criminal. He deserves justice.
Bran : He just got it. He’s made many terrible mistakes. He’s going to spend the rest of his life fixing them.
Tyrion est donc appelé à se racheter en réparant les erreurs qu’il a faites, en devenant le bras droit du nouveau roi. Et on devine rapidement, en le voyant reprendre ses fonctions à King’s Landing, que sa vie commence sous d’assez bons auspices. Il se voit offrir une seconde chance, et prend un nouveau départ.
Une anomalie, presque. Parce que la trajectoire qu’il « aurait dû » avoir, c’est celle de Tony Stark. J’ai longtemps entendu des amis, autour de moi, soutenir que Steve Rogers allait mourir dans Avengers : Endgame. Parce que son acteur Chris Evans avait officiellement fait ses adieux au MCU via un tweet, parce qu’il était logique que le héros altruiste et sans reproche se sacrifie pour tous, parce qu’il était mort dans les comics (mais on ne compte plus les héros morts dans les comics, Stark compris). Bref, c’était si attendu que c’en était peu crédible.
Alors que Tony Stark… par où commencer. Son interprète, Robert Downey Jr, étant en fin de contrat lui aussi, la question de la mort du personnage pouvait légitimement se poser. « Ils n’oseront jamais, il est le socle du MCU », m’a-t-on dit. Ce qui rendait sa mort logique, justement : elle est le signe que l’univers Marvel au cinéma entre vraiment dans une nouvelle phase une fois le personnage de Stark parti.
En dehors de toutes ces considérations techniques, la mort de Stark est malheureusement attendue et logique. Parce que c’est lui qui est pointé du doigt, depuis le début de la saga, comme le personnage qui a un passé dont il doit se racheter. Il a vendu des armes, brisé des carrières et des cœurs sur son passage, et fait des erreurs assez monumentales. Son évolution est passionnante parce qu’il part de loin, il s’améliore, tout en se trompant parfois en chemin. Il est perfectible, il a des failles qui le rendent complexe. (Parenthèse : les gens ont tendance à oublier que Banner est autant responsable de la création d’Ultron que Stark. Mais on ne reproche rien à Banner parce que… quoi ? Il a une tête de puppy tout mignon ? Ah, ça m’exaspère.)
Ce qui achève vraiment de consacrer Tony Stark en héros aux yeux des personnages, de l’univers dans lequel ils évoluent, et du public, c’est sa mort, le sacrifice qu’il fait pour sauver le monde. Un sacrifice d’autant plus douloureux qu’il est le seul parmi les Avengers à être installé avec femme et enfant. Il doit faire le choix de renoncer à ce qu’il a de plus cher et qu’il avait enfin réussi à obtenir : une vie à peu près paisible et une famille. D’aucun diront qu’il y a eu droit pendant cinq ans, et que ça n’est déjà pas si mal. Je suis sortie du film avec un sentiment de profonde injustice – même si, encore une fois, le dénouement m’apparaissait logique. Même s’il progressait de film en film, Stark faisait encore face à des difficultés. Syndrome post-traumatique dans Iron Man 3 et L’Ere d’Ultron. Pepper qui le quitte, une dépression et un AVC supposé dans Civil War (la scène où il dit avoir le bras gauche engourdi en parlant à Natasha n’est pas anodine). Dans ce film, Stark est le personnage qui morfle le plus. Ajoutons à ça la culpabilité qu’il éprouve après la disparition de Peter Parker dans Infinity War. A mes yeux, il avait subi assez de choses pour mériter, enfin, un peu de bonheur – et plus longtemps que cinq ans.
Mais nous parlons de Tony Stark : s’il a une possibilité de sauver le monde, s’il a le début d’une solution, il ira jusqu’au bout, sous peine de ne pas en dormir la nuit.
Il est loin d’être le seul exemple d’un héros intelligent qui trouve sa rédemption par un sacrifice. Severus Snape est le premier personnage qui me vient en tête, et il y en a une flopée d’autres – dont certains qu’on peut qualifier de héros byroniens, la rédemption étant une de leurs principales caractéristiques. Tony Stark lui-même peut être qualifié de héros byronien, il coche toutes les cases : j’ai mis sept ans à le comprendre. (Il a fallu que j’écrive cet article, en fait.) Il n’est rien de plus insaisissable qu’une évidence, disait Sherkock Holmes. Je crains de vous spoiler des œuvres, même si certaines sont anciennes, en vous indiquant d’autres personnages aux trajectoires similaires. Je les tairai donc, mais sachez qu’ils existent. (Cela dit, si vous avez vu les Avengers, on pourrait aussi parler de Loki.) J’ai choisi de m’attarder sur un cas particulier.
Artemis Fowl est un autre exemple tout à fait parlant. C’est sans doute celui qui se rapproche le plus de Stark par le tempérament et l’histoire. Pour la faire courte, et pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas lu la saga de huit tomes d’Eoin Colfer, Artemis Fowl est un adolescent millionnaire de génie, qui appartient à une famille de malfaiteurs. Son histoire commence lorsqu’il décide de s’accaparer l’or du peuple des fées en kidnappant l’une d’entre elles. Il part donc de très bas. Au fil des tomes, Artemis va s’humaniser, grandir, et passer d’ennemi juré à allié du peuple féerique lorsqu’il s’agira de sauver le monde. (A grands coups d’inventions high-tech conçues par notre ami. Ça vous rappelle quelqu’un ?) Et c’est là que je vais spoiler le dernier tome, Le Dernier Gardien. Dans ce bouquin, donc, Artemis meurt pour vaincre ses ennemis et sauver la planète. Tout comme Stark, il a avancé, fait des erreurs, s’est repenti, a décidé de prendre en charge sa santé mentale et commencé à envisager un nouveau départ. Contrairement à Stark, il n’a pas d’enfant ni de relation amoureuse – il a 17 ans dans le dernier volume – mais des petits frères encore très jeunes sur lesquels il a décidé de veiller. Bref, tout s’annonce bien, redemption arc achieved. Colfer en décide autrement et tue son personnage, qui se sacrifie. Avec une nuance, toutefois, car nous sommes dans une série jeunesse. Si Artemis meurt bel et bien, ses alliés trouvent le moyen de réintégrer son âme – encore présente sur les lieux de sa disparition – dans un clone à son effigie six mois plus tard. Le roman se termine avec un Artemis tout neuf, à qui ses amis rendent la mémoire en lui racontant ses aventures depuis le tome 1. Fin.
Pourquoi la rédemption de tels personnages, complexes, intéressants, travaillés, doit-elle toujours passer par la mort ? Quelle réflexion cela peut-il susciter chez des personnes qui s’identifient à eux ? Les auteurs y pensent-ils seulement ?
Voilà pourquoi la fin donnée à Tyrion Lannister m’a profondément touchée. Elle m’a donné ce dont celle de Stark m’avait privée : de l’espoir. Oui, il est possible d’aller de l’avant, de tirer un trait sur le passé et de mener une nouvelle vie, malgré les erreurs et les casseroles qu’on traîne derrière soi.
En tout cas, c’est ce que j’aime à croire en voyant Tyrion présider un conseil restreint pendant que le soleil de King’s Landing brille dehors.