Les chocs esthétiques sont épouvantables. Je préfère le dire d’entrée. Voir sa vie modifiée est une excellente chose, mais au début, quand on ne sait pas où on va, c’est absolument affreux.
Il y a plusieurs manières de voir un tel choc survenir : glisser un disque dans son lecteur, rencontrer quelqu’un, regarder un tableau, ouvrir un livre, s’installer innocemment devant un film (ou, à plus forte raison, une série de la BBC…).
Des actions anodines et apparemment sans conséquences. Grave erreur, les amis ! Un jour, vous tombez sur le disque, le bouquin, le film qui changera irrémédiablement votre existence. Et là, vous êtes fichus : vous ne reviendrez pas en arrière. Quoi que vous fassiez. Même si vous le voulez.
Le pire – ou le meilleur, selon l’humeur où je suis, mes idées sur la question changent – c’est que l’on peut avoir plusieurs chocs au cours de son existence. Je parle d’expérience, même si la mienne est encore relativement courte.
Hier soir, j’énumérais, encore secouée par le dernier en date, les différents chocs que j’avais pu avoir : musicaux, littéraires, cinématographiques, sériesques (cela se dit-il ? Non ? Tant pis.). Joli palmarès. Mais bon sang, la chose est toujours aussi difficile à gérer.
C’est simple : vous avez l’impression qu’on vous a jeté un sort. Que vous êtes poursuivi par une série d’émotions toutes plus incompréhensibles les unes que les autres. Le futur vous dira en quoi votre vie va être modifiée, souvent pour le meilleur. Soit.
En attendant, je suis perturbée au plus haut point et je me demande en quoi le dernier choc que j’ai eu pourra m’être utile – le changement fait toujours un peu peur, quoi qu’on en dise.
Et comme il neige, que la chaleur d’une chambre est préférable à une sortie glacée, et que j’ai officiellement dédié cette journée à l’écriture et aux séries anglaises, à la musique et à la lecture, je décide de revenir sur les principaux chocs esthétiques de ma brève existence.
(Qui sait, cela vous donnera peut-être envie de les découvrir si vous ne les connaissez pas déjà. Je fais aussi une bonne action.)
Les Quatre Filles du Dr March (le film de Gillian Armstrong et le roman de Louisa May Alcott)
Mon film préféré de tous les temps et qui a probablement décidé de ma vocation d’écrivain. Après chaque visionnage, je me jetais sur un cahier pour écrire – voir Jo, l’héroïne, gribouiller ses manuscrits éveillait en moi une envie maladive. Mes premières histoires viennent de là.
J’ai vu le film à quatre ans, lu le livre à neuf et je n’ai pas changé d’avis depuis : je suis devenue écrivain et je veux toujours l’être. Et ce sont toujours mon film et mon livre préférés du monde.
Entretien avec un vampire et Louis de Pointe du Lac (le film de Neil Jordan et le roman d’Anne Rice)
Tiens, là aussi, les choses vont par deux. Curieux. Le héros d’Entretien avec un vampire, Louis de Pointe du Lac, fut un bouleversement dont j’ai mis des années à me remettre. J’avais onze ans quand j’ai découvert le film, puis le livre. Ce sont eux qui, je crois, on fait de moi une romantique. L’atmosphère gothique de mes écrits leur doit probablement un peu, aussi… Le film est également un de mes favoris et m’ébranle toujours. Quant au livre ? Anne Rice aurait dû s’arrêter à celui-là. C’est un chef d’œuvre. (D’accord, les autres sont des divertissements de luxe : très bons parfois, mais ils n’arrivent pas à la cheville de ce roman.) C’est l’influence que je revendique le plus pour mon style littéraire.
Avec le choc suivant.
Oscar Wilde
J’avais douze ans – période charnière, apparemment – quand mon professeur de français a fait étudier Le fantôme de Canterville à la classe. J’ai beaucoup aimé – en particulier le passage sur le Jardin de la Mort, magnifique. Je ne me doutais pas que Wilde allait devenir un Maître, l’influence majeure sur ma pensée, mon style et ma vision du monde. Après avoir étudié ce conte, je me suis mise en tête de lire Le Portrait de Dorian Gray. Qui ne m’a pas forcément interpellée à treize ans, mais que j’ai relu plusieurs fois depuis. Au fil du temps, Wilde s’est mis à occuper une place prépondérante dans mon esprit, sous ma plume et, bien entendu, dans ma bibliothèque. Il s’est glissé insidieusement – son essai Le Déclin du Mensonge fut une révélation. Il est toujours là et le sera jusqu’à ma mort, j’en ai peur. C’est un Maître, un mentor et un ami dans les périodes sombres. Je lui dois plus que je ne saurais dire.
Marilyn Manson
Que dire ? Enfant, il me terrifiait. Au lycée, j’ai cherché, en raison d’un article anodin que j’avais lu, à en savoir plus sur lui. Je l’ai écouté : il est toujours dans ma discothèque. (Mechanical Animals est un de mes albums favoris.)
Je souffre d’une fâcheuse maladie : je ne supporte pas qu’on cite une référence que je ne connais pas. Quand un artiste que j’apprécie cite une œuvre inconnue, je la trouve. Manson m’a fait découvrir Lolita de Nabokov, entre autres. Je crois que c’est grâce à lui que j’ai été beaucoup plus ouverte par la suite, et mes écrits ont gagné en noirceur. Mais, évidemment, c’est le lycée…
Jack White
C’est avec lui que j’ai réellement compris ce que le mot « choc » voulait dire.
L’histoire est trop longue mais on pourrait la résumer par : avec Wilde, White est mon second Maître. Découvrir, à dix-sept ans, les albums Consolers Of The Lonely et Get Behind Me Satan fut un tournant qui modifia mon existence du tout au tout. J’ai découvert la musique. J’ai fait mon éducation blues et rock en allant emprunter tous les albums que White citait en interview. Je me suis mise à bricoler des chansons. White a éveillé ma passion pour la musique : par la suite, j’ai écrit des articles sur le sujet, traduit, rencontré des musiciens. Et surtout, je me suis remise à écrire après un an de panne d’inspiration. White a inspiré en partie le héros de mon premier roman publié, Clothilde & Adhémar (La Bouquinerie, 2010). Ce n’est pas seulement le musicien que j’admire, c’est aussi – et surtout, peut-être – l’homme et ses réflexions, son parcours. Lire une de ses interviews est un plaisir car j’en retire toujours quelque chose. Récemment, j’ai lu le fameux article que lui avait consacré Esquire : pour la première fois, je connaissais absolument toutes les références – musicales, littéraires et cinématographiques – qu’il citait. Une strate a été franchie.
Black Rebel Motorcycle Club
L’avant-dernier. Datant d’un peu plus d’un an, me semble-t-il ? Je connaissais ce groupe depuis quelques années, déjà. Un jour, j’ai écouté l’EP American X : Baby 81 Sessions que j’avais reçu par hasard. Et ce fut la fin, les enfants. J’ai acheté tous leurs albums et je me suis mise à porter des robes – je n’ai pas arrêté depuis.
Mon écriture s’en est ressentie : j’ai pu écrire beaucoup de choses que je n’arrivais pas à formuler avant.
Je ne sais toujours pas pourquoi.
Nous arrivons donc au choc le plus récent. Qui, au départ, n’était pas destiné à en être un. Je suis certaine que celle qui l’a indirectement provoqué ne s’attendait pas à ce qu’il ait une telle ampleur, mais les faits sont là. Ils illustrent parfaitement l’axiome énoncé plus haut : une fois le choc reçu, il est inutile de songer à revenir en arrière.
Il s’agit d’un personnage fictionnel, cette fois. La boucle serait-elle bouclée ? J’en doute.
Il y a une semaine, quand j’ai commencé à regarder une innocente série de la BBC, comment aurais-je pu croire… Oui, après tout, comment peut-on faire plus innocent que Robin des Bois ? Ça n’existe pas, nous sommes d’accord. Fort bien. Là où j’ai commencé à soupçonner qu’il se passait quelque chose, quelque chose de potentiellement intéressant, fut quand l’un des personnages se mit à faire irruption dans mon esprit aux moments les plus incongrus. Il y a une dizaine de jours environ. Je me retrouvais à penser ingénument : « Oh tiens, cette chanson me fait penser à… », « Oh non, c’est un truc qu’il aurait pu faire ». (Un des symptômes du choc esthétique est que certaines manières ou tics de langage des gens qui m’influencent peuvent se retrouver chez moi, les premiers temps.)
Pendant d’autres moments où je n’aurais surtout pas dû y penser, aussi. Au hasard : un examen ou une conversation avec une amie. Là, il faut faire un effort de concentration immense pour revenir au plus urgent : le propos tenu par l’amie en question ou la feuille posée devant soi.
Même à ce moment, je ne me doutais de rien : cela passerait, évidemment, une lubie ordinaire. J’écrirais sur le sujet tout irait mieux.
De plus, j’étais assez contente : une de mes réflexions sur ce personnage m’avait fait réaliser quelque chose de très important pour le roman que j’ai en chantier actuellement. Une subtilité au niveau des sentiments, une séduction et une sobriété que je n’avais pas explorées. Parfait, donc. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Sauf que non ! C’était une illusion, une erreur fatale car hier soir la révélation m’est venue, alors que je jetais mes écouteurs à côté de moi et mettais fin à un nouvel épisode de Robin Hood avant même d’avoir vu la fin. C’est un choc, ma petite. Et tu es sacrément mal barrée.
Bon. Après plusieurs kleenex et l’impression d’avoir été maudite – car oui, un choc peut provoquer de fréquentes crises de larmes stupides et absurdes au début –, doublée d’une culpabilité immense – en pensant à l’amie qui m’avait introduite à ce personnage et avait, bien malgré elle, causé ce cataclysme – je décidais d’y faire face.
Je vais écrire. J’ai reçu un nouveau choc et, le plus terrible, c’est que j’en ignore encore les conséquences. Alea jacta est. Maudit sois-tu, Guy de Gisborne.
C’est un article intéressant. Un peu emphatique çà et là, mais intéressant.
Merci, cher ami ! Je ne peux malheureusement être sobre avec ce sujet. 🙂
Je lis ce que tu dis sur Wilde, je vois Le déclin du mensonge, et je me lève pour voir si je l’ai dans mon étagère britannique section fascination sur Oscar Wilde. Evidemment il était là. Maintenant je vais le lire. Si je deviens encore plus obsédée par Wilde que je ne le suis déjà je ne te remercierais pas (tout de suite).
Je suis là pour ça, pousser les gens à découvrir des choses… (sourire diabolique) Mais tu l’as déjà dans ta bibliothèque, tu es donc une personne de goût. ^^
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Tu sais combien je partage ton ressenti au sujet de Jack White. Il a été pour moi une source d’inspiration primordiale, grâce à lui (et à tout ce qui est venu avec lui…) ma vie tout entière a pris une autre tournure. Et sans lui je ne serais pas ici en ce moment… A bientôt l’artiste! 🙂
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