Ça faisait un moment que je n’avais pas consacré de petit essai à un personnage fictif sur ce blog. Une fois de plus, voici l’exemple de : comment une série ou, dans le cas présent, un téléfilm sans importance, peut mener à des découvertes et une véritable étude.
Aujourd’hui, nous avons donc le cas de… TADAAAM ! Ricky Deeming. Un personnage secondaire du premier épisode de la série George Gently : Gently Go Man, réalisé par Euros Lyn et diffusé le 13 Mars 2011 sur France 3 (sous le titre Inspecteur George Gently : Gently entre jeu). Si on m’avait dit un jour que je décortiquerais le cas d’un personnage mineur d’une série diffusée sur France 3, je ne l’aurais jamais cru.
Sauvons les meubles, cette série est anglaise et a été produite par la BBC. Pour racheter encore un peu mon honneur, son pilote bénéficie d’un casting trois étoiles, d’une photographie magnifique et, last but not least, d’une BO qui tue. La série se passe en effet dans les années 1960, ce qui lui donne un cadre vintage tout à fait bienvenu.
Sans oublier Ricky Deeming : ma seule et à ce jour unique raison de regarder l’épisode Gently Go Man. Ricky Deeming, donc, est joué par Richard Armitage et est un nid de contradictions et de références à lui tout seul.
Certes, on ne le voit pas beaucoup. Il doit avoir quoi, quatre ou cinq scènes en tout. Grand maximum. Et elles sont courtes. Pour un épisode d’une heure trente, ça n’est déjà pas si mal, mais ça ne casse pas non plus des briques. Et pourtant.
J’ai déjà évoqué mon intérêt pour le groupe Black Rebel Motorycle Club dans ce blog mais, ce que je n’ai pas dit, c’est que j’ai déjà perçu des points communs entre Peter Hayes (l’un de ses deux leaders) et le sieur Armitage. Ça demanderait toute une explication et ça n’arrangerait pas mon cas à vos yeux mais, pour faire court, l’épisode en question n’a pas diminué mes convictions. Bien au contraire.
Ricky Deeming, donc, est le chef d’un clan de motards nommé les Durham Defenders dans le Northumberland, en Angleterre. Il est jeune, charismatique, adoré des membres de son groupe. Évidemment, il tient un discours révolté et anticonformiste – à base de ténèbres et d’êtres de lumière, tout un programme. Quand il ne traverse pas les routes à dos de sa Manx Norton, Ricky aime casser des trucs au marteau en chemise à carreaux. Notre héros a également un penchant sous-entendu, jamais explicitement dit, pour les garçons – à l’époque, l’homosexualité masculine est encore considérée comme un crime en Angleterre. Celui qui est amoureux de lui, Billy Lister (Christian Cook) est d’ailleurs un artiste qui passe le plus clair de son temps à le dessiner sous toutes les coutures. Or, Lister est assassiné et Ricky se retrouve suspect numéro un.
Intrigue ordinaire, pas de quoi en faire tout un post. Mais si. Le personnage de Ricky Deeming revisite toute une culture et m’a fait (re)découvrir plein de trucs que je me devais de partager ici. Il suffit de voir la chambre de Billy Lister : tout cela se trouve ressuscité sous vos yeux.
Quand Gently (Martin Shaw), le héros détective, enquête sur la mort du jeune homme, il se rend chez lui et explore sa chambre. Outre les dessins à l’effigie de Ricky accrochés partout, sans oublier un portrait en cours d’élaboration, il tombe nez à nez avec une foule de photos, affiches et dessins des plus intéressants. (Blague à part, connaissant la modestie d’Armitage, je me demande ce qu’il a ressenti en voyant autant de dessins qui le représentaient dans la même pièce. Le pauvre.)
La chambre de Lister est décorée de dessins de James Dean, Marlon Brando, Elvis Presley, de photos de motos et de groupes de rock. Quelques clins d’œil sont évidents, notamment les allusions aux films La Fureur de Vivre (Nicholas Ray, 1955) et L’équipée sauvage (Lazlo Benedek, 1953). Ce second film raconte précisément l’histoire d’un gang de motards dont le leader est un jeune homme passionné, a rebel without a cause. Le gang se nomme d’ailleurs Black Rebels Motorcycle Club, ce qui a inspiré au fameux groupe de rock son nom (notez qu’ils ont enlevé le s).
Il y a aussi beaucoup de photos de groupes de rock que je n’ai pas pu identifier. On aperçoit The Who, ce qui n’a rien d’étonnant. Du coup, j’ai fait des recherches et j’ai découvert qu’il existait un genre de rock spécifiquement destiné/consacré aux motards : le biker rock (on parle aussi de motorcycle music et de biker songs). Yep. Merci Ricky, sans toi…
Justement, Ricky Deeming. La description de la chambre de Billy Lister n’aura pas été inutile puisqu’elle permet de bien cerner l’environnement et la mentalité de ce personnage. Le dessin de Lister qui fait l’objet de conflits dans l’épisode représente d’ailleurs Ricky Deeming crucifié tel le Christ. Sans doute pour symboliser le fait que Deeming soit une icône sacrifiée pour l’exemple ? (J’ai envie d’aller plus loin et de rappeler la fascination de Wilde et certains auteurs de la fin du XIXème pour le catholicisme, notamment parce qu’ils trouvaient cette religion sensuelle et transgressive. Mais je m’égare.) Gently parle d’ailleurs des apôtres de Deeming, le parallèle n’a rien d’anodin.
Deeming, comme je l’ai déjà dit, est le leader de son groupe. The leader of the pack, comme le chantaient les Shangri-Las. Il initie les petits nouveaux de son clan en les plongeant dans la mer – tiens donc –, roule ses clopes pendant les interrogatoires et n’a pas l’intention de se laisser impressionner par qui que ce soit.
Son discours pendant le fameux interrogatoire vaut son pesant d’or, sérieusement. Le voici en version originale à partir de 4:23 jusque 7:50.
Morceaux choisis (l’adaptation est d’Yves Lecordier) :
« Ricky Deeming : Billy et Laurie [assassinés, NdA] ont atteint les ténèbres, rien de plus. Ça arrive en moto. Vous ne pouvez pas comprendre, faut aimer la vitesse. On ne fait plus qu’un avec sa moto, avec sa machine, avec l’esprit de sa machine.
George Gently : Vos Durham Defenders, qu’est-ce qu’ils défendent, au juste ?
Deeming : Nous-mêmes, j’imagine. Contre les plans minables, la vie de monsieur tout le monde, les rêves bien ordinaires, le crédit de la maison. (…) Et le monde qui tourne et tourne comme machine, toujours à la même allure, et rien qui peut jamais changer, à part le temps.
Gently : Alors vous prétendez donc sortir vos apôtres des griffes de notre société banale et ordinaire ?
Deeming : (…) Laurie Elton s’est trouvé une moto à lui et une famille avec qui partager des valeurs. Et quand il a jeté un coup d’oeil à votre monde, ça l’a pas intéressé du tout. Tout à fait comme moi. C’est la fin de votre monde, George, inévitablement. Vous ne verrez plus l’Angleterre dans quelques années. »
C’est un vrai fatras métaphysique parsemé de quelques répliques cyniques sur la société. Un discours pas si différent de celui de Marlon Brando dans L’équipée sauvage, maintenant que j’y pense. Pour le reste, j’avoue que la veste en cuir sied plus que bien à Deeming et que sur un plan, il ressemble tant à Peter Hayes que ça m’a troublée.
Encore une fois, rien n’est jamais dit sur les amours de Ricky, mais les allusions d’un des deux détectives, ainsi qu’une phrase ambiguë de Deeming lui-même laissent peu de doutes. Billy Lister était « un être lumineux » selon lui. Fort bien.
Je voulais juste montrer qu’un personnage comme lui est une bonne idée pour rééxplorer tout un univers. Deeming est une bonne synthèse de tous ces films et chansons, en quelques sorte, en plus d’être assez paradoxal. Ça n’est pas un argument pour regarder ce téléfilm, mais c’en est un pour aller plus loin, si jamais on l’a regardé.
Du coup, je me demande même si je ne vais pas lire le roman dont est tiré ce téléfilm : Gently Go Man, publié en 1961 par Alan Hunter, dans lequel Ricky se nomme en fait Dicky. C’est un choix.
Avec tout ça, je ne peux pas m’empêcher de conclure cet article sur la chanson des Shangri-Las (la vidéo inclut un motard old school) :
Très bon article comme d’habitude ;). Je me coucherai moins bête ce soir :D. Tu ajoutes une nouvelle chose à regarder sur ma liste de chose à faire jusqu’à la fin de ma vie :p.
De rien ! ^^ Je te conseille L’Équipée Sauvage, si tu ne l’as pas vu. J’avoue que La Fureur de Vivre m’a moins plu malgré son statut de film culte. Et bien sûr, il FAUT écouter les Shangri-Las ! Elles mettent de bonne humeur dès le matin. 🙂 Et BRMC. Mais je ne vais pas me mettre à les défendre maintenant, je ne finirai jamais.^^
Mais mais ! Ca me tente beaucoup ca 😀 ! (et pas du tout parce qu’il y a Richard Armitage, non non !). Dès que je trouve en vostfr, je m’y mets 😉
Je crois qu’il n’est disponible qu’en vf ou vo pure, mais c’est un téléfilm fort sympathique – c’est surtout l’époque où ça se passe et les références qui lui donnent beaucoup de charme. 🙂 Tu me donneras ton avis, j’espère que ça te plaira.^^