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Posts Tagged ‘peter doherty’

[Cet article est dédié à une personne qui n’en a aucune idée. Mais je le lui enverrai tout de même.]

Fin de confinement oblige, une de mes premières escapades hors de chez moi a été la tournée des librairies. J’ai donc acheté et dévoré de nouveaux livres, tout en gardant en tête un petit objectif : lire les non-lus de ma bibliothèque. Malgré plusieurs tentatives, il y a un livre que j’avais toujours reposé pour passer à autre chose. Ce n’était jamais le bon moment. Plot twist : je l’ai finalement lu la semaine dernière. Il faut m’imaginer face à la couverture, une détermination sans faille sur le visage : « Cette fois, mon p’tit pote, c’est la bonne. Je vais te recommencer et te terminer. » Et je l’ai fait.

Ce livre, c’est Monsieur de Phocas de Jean Lorrain, publié en 1901. J’ai déjà parlé de littérature décadente sur ce blog quand j’ai évoqué A rebours de Huysmans – et la claque monumentale que ce bouquin a été pour moi.

Monsieur de Phocas - Jean Lorrain

Voici la couverture d’époque, mais sachez que le roman est édité en poche chez Flammarion, avec un dossier explicatif très complet. On le trouve aussi dans le domaine public.

Jean Lorrain est une autre figure du décadentisme, un mouvement surtout présent en France à la fin du XIXème siècle et au tout début du XXème. Lorrain est un écrivain peu connu, malgré sa plume splendide. Si vous voulez vous plonger dans son œuvre, Princesses d’ivoire et d’ivresse est un bon début. C’est un recueil de contes dans la plus pure tradition d’Andersen, mâtiné d’une esthétique qui rappelle aussi Oscar Wilde. (Lorrain et lui se connaissaient et possédaient plus d’un point commun.)

Retour à Monsieur de Phocas. Ce roman, qui est en fait une succession d’histoires courtes, raconte l’histoire de…

Monsieur de Phocas (quelle surprise), pseudonyme du duc de Fréneuse. L’aristocrate est obsédé par une couleur, une « transparence glauque », soit un mélange de bleu, vert et gris. Il la recherche dans les œuvres d’art, les pierres précieuses, les yeux des femmes et des hommes qu’il croise. Chemin faisant, il rencontre Claudius Ethal, un peintre aussi scandaleux que manipulateur. Sous prétexte de sauver Fréneuse de son obsession, Ethal va le plonger progressivement dans la folie. A moins que Fréneuse ne parvienne à se séparer de son « ami » à temps ?

Quand j’avais entre 20 et 23 ans, j’ai connu une période pendant laquelle j’ai été fascinée par le décadentisme. J’ai lu A rebours, je lisais les poètes romantiques, j’écoutais les Libertines… j’ai déjà parlé de tout ça dans ma chronique du roman de Huysmans. Me replonger dans Jean Lorrain quelques six mois avant mes 30 ans m’a fait reconsidérer cette littérature que j’appréciais tant avec un étrange recul.

Soyons clairs : j’aime toujours Jean Lorrain. Je garde ses livres dans ma bibliothèque, et je compte bien lire Rachilde et Jane de La Vaudère. (Les seules autrices décadentes connues à ce jour.)

Mais ce qui me fascinait étant plus jeune ne m’attire plus maintenant. Pourtant, les personnages des livres décadents aiment l’art et la beauté de façon inconditionnelle, ce sont souvent des dandys et des érudits… mais il passent l’essentiel de leurs intrigues à s’autodétruire. Parce qu’ils trouvent le monde vain, parce que rien n’est à la hauteur de leurs exigences esthétiques, parce que leur soif d’absolu ne pourra jamais être satisfaite. Résultat : ils préfèrent se perdre au milieu de leurs gemmes et de leurs conquêtes androgynes, et se détruire à grand renfort d’opium ou de provocations en duel. Le duc de Fréneuse ne fait pas exception.

SOUPIR.

Sherlock rolling eyes

(Je pense qu’ils ont besoin d’une thérapie.)

Croyez-moi, je n’aurais jamais cru réagir comme ça il y a sept ans. J’étais même persuadée, à une époque, de connaître un destin similaire à celui de ces personnages. (J’étais plus jeune, écoutez.) Mais entre temps, il y a eu la vie, le théâtre, l’art, les lectures, les amis, l’ambition sur le long terme. L’expérience que j’ai me fait aujourd’hui considérer Monsieur de Phocas avec un intérêt amusé, et beaucoup de tendresse pour une esthétique que j’aime encore.

Pourquoi ai-je relu Monsieur de Phocas maintenant ? Pas seulement pour continuer à découvrir les non-lus de ma bibliothèque. Ces temps-ci, je me suis replongée dans la discographie de Peter Doherty : je réécoute tout, des Libertines à ses albums solos, en passant par les Babyshambles. (Bien sûr, j’ai aussi ses bouquins dans ma bibliothèque. Doherty est un grand poète.) Cette musique est associée à de nombreuses œuvres que j’ai découvertes en l’écoutant… dont le mouvement décadent.

Je me suis donc immergée à nouveau dans cet univers. Sans nostalgie, et avec grand plaisir, en constatant que oui, il m’avait suffisamment marquée pour faire toujours partie de moi. J’en trouve des traces dans ce que j’écris, c’est indéniable. Gustave Moreau fait toujours partie du top 3 de mes peintres préférés. (Les décadents étaient obsédés par sa Salomé.) Etonnamment, la fin de Monsieur de Phocas semblait être en accord avec mon état d’esprit actuel. C’est le moment pour vous de surligner les lignes qui suivent, si vous vous moquez que je vous spoile la fin du roman : A la fin de Monsieur de Phocas, le duc de Fréneuse tue Ethal pour s’en libérer. Il n’est pas inculpé et décide de partir en voyage : il choisit la vie, et va de l’avant.

Une des angoisses quand on est plus jeune c’est, je crois, de perdre la passion, la flamme qui nous anime, surtout quand on est créatif et qu’on ressent intensément les choses. Dans la chanson The Good Old Days, les Libertines mettent en garde leur auditeur : « If you’ve lost your faith in love and music, the end won’t be long ». La question que je me suis posée ces derniers jours, c’était : suis-je restée fidèle aux idéaux que j’avais plus jeune ou les ai-je abandonnés en grandissant ? Est-ce que l’art et la passion sont toujours là ? La réponse est oui. Concernant l’art, la moi de 23 ans serait contente de savoir qu’il est encore plus présent dans ma vie qu’il y a sept ans.

Force est de constater que les leaders des Libertines sont toujours là, qu’ils créent toujours, qu’ils semblent toujours aussi romantiques et épris d’art. J’écris toujours, ma flamme est toujours là, et je suis ravie de constater que grandir ne signifie pas trahir ses idéaux. Il suffit de leur rester fidèle. Et ça n’implique pas de passer par sa propre destruction, bien au contraire.

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