Tout est dans le titre, l’article est fait, je peux vous laisser avec. Non ? Non.
Beaucoup commenceraient un article sur l’art par une citation d’Oscar Wilde, expert en la matière. Cependant, malgré la relation de Maître-élève que j’entretiens avec l’illustre Irlandais, je m’en dispenserai. Sortir un aphorisme de Wilde pour résumer sa pensée sur l’art serait très réducteur, et aussi une erreur : il n’est aucun aphorisme de l’écrivain sur l’art qui ne soit contredit par un autre. Si vous souhaitez vraiment connaître la position d’Oscar, je vous conseille de lire son essai Le Déclin du Mensonge où il explique son idée sur la question.
Je ne commencerais pas non plus cet article avec une citation de Wilde, parce que le rôle de l’art au XXIème siècle est légèrement différent de celui qu’il tenait au XIXème. Disons plutôt que de nouvelles fonctions sont apparues, et des fonctions qui ne sont pas négligeables en 2015.
Chacun accorde à l’art le rôle qu’il souhaite. Pour ma part, j’aime à penser que la fonction principale de l’art est d’élever l’âme et de viser à la Beauté. C’est une fonction qui peut paraître simple, voire superficielle, mais elle est en réalité difficile à concrétiser. Pour d’autres, la fonction principale de l’art est de servir une cause précise, d’être engagé. Je n’ai rien contre les artistes qui dénoncent en chansons, en films ou en livres certaines situations ou certaines formes d’obscurantisme, par exemple. Leur présence est nécessaire, et ils font leur boulot.
Cela dit, on peut concilier ces deux aspects. Le fait de militer pour une forme « d’art pour l’art » est un engagement en soi qui existait déjà XIXème siècle. A mon avis, son besoin se fait encore plus ressentir aujourd’hui.
L’année dernière, Jim Jarmusch a sorti le très beau Only Lovers Left Alive, qui est un résumé parfait d’une partie de ce que je vais tenter de dire ici. Les héros de ce film, Adam et Eve, sont un couple de vampires érudits, passionnés de littérature, de musique, de sciences… bref, ce film est une ode à la polymathie. Dans cette histoire, les zombies existent aussi : c’est le terme utilisé par nos héros pour désigner les humains. Selon les deux vampires, les humains ne sont plus curieux, ne vont plus vers l’art, perdent leur faculté à imaginer… et donc leur humanité.
Et pourtant l’art et le savoir sont essentiels, car ils peuvent changer le monde. Plutôt que de se laisser dépérir comme Adam en déplorant le déclin de l’Humanité, ne vaudrait-il pas mieux se battre pour diffuser l’art et la culture ?
Finissons-en d’entrée avec le plus évident : l’art contribue à rendre le monde plus beau, plus intéressant, plus supportable – si on adopte un point de vue vraiment cynique. Il permet aussi d’attiser la curiosité, de donner l’envie de se nourrir davantage d’œuvres. L’art est une immense toile d’araignée, chaque œuvre renvoie à une autre. La meilleure chose dans tout ça, c’est que ça ne s’arrête jamais.
Plus on se nourrit de livres, de musique, de films, plus on sait, plus on prend de recul sur le monde. Car le savoir nous permet d’analyser et de comprendre. Et donc de ne pas tomber dans certains pièges.
Bien entendu, l’expérience, le vécu sont aussi importants : on ne peut pas tout comprendre du monde en restant le nez dans des livres ou en regardant des tableaux. Cependant, cette connaissance peut nous permettre de mieux appréhender ce qui nous entoure. J’ai lu plusieurs « classiques » ces derniers temps, et en refermant certains d’entre eux, j’ai eu l’impression d’avoir franchi une nouvelle strate. Je comprenais brusquement une multitude de choses qui m’échappaient auparavant, des références que je n’avais pas vues, et j’étais capable d’apporter de nouveaux arguments pendant les discussions, forte de ce nouveau savoir.
Je prends l’exemple des livres, mais il en va de même pour la peinture, la musique ou le cinéma.
C’est bien beau tout ça, allez-vous me dire, mais qu’est-ce que ça nous apporte concrètement ? Je vais tenter de répondre.
- Je pense effectivement que l’art rend la vie plus supportable, tout comme le fait de s’en nourrir. Matt Haig écrit dans Reasons to Stay Alive que la lecture compulsive de livres a contribué à le sortir de sa dépression. Et que serait la vie sans la musique, je vous le demande ?
- J’ai déjà dit que le savoir permettait de ne pas tomber dans certains pièges, en voici quelques uns : savoir quand un journaliste écrit ou prononce une erreur (ie : très souvent), ou ne pas vous laisser embobiner par les représentants d’une secte quand ils frappent à votre porte. Ça vaut aussi pour les terroristes qui essaient d’embrigader de jeunes recrues à coup de discours incohérents mais très persuasifs.
Nous y voilà. Le titre de cet article est : l’art et la culture peuvent changer le monde. C’est une chose en laquelle je crois fermement. Si les jeunes gens adoptent ce goût de l’art et du savoir, s’ils le cultivent, alors ils seront à même d’avoir du recul, de reconnaître les pièges qu’on leur tend et de les éviter. Et peut-être auront-ils envie, à leur tour, de créer.
Je pense que c’est le rôle de tous ceux qui partagent cette conviction d’essayer de transmettre cette envie d’apprendre, d’être curieux, à leur échelle. (J’ai beaucoup de respect pour un individu aussi médiatisé que Tom Hiddleston qui va poster un extrait de Sénèque sur son compte Twitter. Si ça peut inciter ses fangirls à lire le bouquin, c’est déjà quelque chose.)
Je sais que j’en fais souvent la promotion, mais un nombre incalculable de livres et de belles choses sont téléchargeables gratuitement sur des sites comme Internet Archive, Project Gutenberg ou Wikisource. A mon échelle, j’utilise Facebook pour partager des chansons ou parler de films et de livres qui m’ont plu. Je vous en reparlerai dans les prochains mois, mais j’ai écrit une pièce de théâtre pour une troupe lyonnaise, et l’une des consignes de la metteuse en scène qui me l’a commandée était que le texte devait comporter des références. Si, en sortant de la salle, un seul spectateur veut aller lire ou regarder l’une des œuvres que je cite dans ma pièce, j’estimerais que mon texte a servi à quelque chose.
Créer l’étincelle. Être à l’origine de ce déclic qui va pousser une personne à aller regarder des tableaux, écouter des disques, lire des livres, se mettre à écrire ses propres histoires ou sa propre musique. Ça peut paraître très dérisoire, ou très ambitieux. Pourtant, j’ai la conviction que le monde ne s’en porterait que mieux.
Finir cet article avec Doctor Who, c’est juste parfait ❤ !
Mais sinon j'ai adorée te lire comme d'habitude, des idées intéressantes et très bien écrites 🙂 !!
J’ai trouvé ce gif par hasard et je me suis dit que je devais absolument le placer dans mon article.^^ Et merci, c’est un article qui me tient à cœur. 🙂
Créer une étincelle de curiosité, et se rendre compte en creusant que chaque artiste a été auparavant inspiré par un autre, lui-même inspiré avant lui…
Le plus bel héritage qu’un artiste peut laisser derrière soi, c’est peut-être le fait qu’il existe encore aujourd’hui à travers la filiation revendiquée ou non des artsites contemporains…
Et au final, au fil du temps, ce n’est peut-être que la forme qui évolue, mais le fond reste le même…
Je suis assez d’accord. 🙂 Plus tu es curieux et plus tu creuses, plus les références et les connexions apparaissent. (Et plus tu as faim de connaissances.) C’est à la fois assez merveilleux et parfois un peu frustrant : tu as envie de lire ou d’écouter plein de choses, mais tu dois choisir.
Je trouve superbe l’idée de transmission et de partage. Amener les autres à lire des livres que nous avons aimé, ou apprendre d’eux. Cependant, je trouve l’application de plus en plus difficile. De moins en moins d’oreilles se tendent mis à part sur internet. Il m’est quasi-impossible de parler de tel ou tel bouquin avec les personnes que je vois tous les jours.
Évidemment, tu me connais, je ne peux m’empêcher de me faire l’avocat du diable ! L’art peut changer le monde, peut faire évoluer les mentalités et forme les esprits. Tout le monde devrait pouvoir toucher ça du doigt… Et pourtant, on nous en empêche de plus en plus : le budget alloué à la culture est pathétique, de nombreux festivals doivent mettre la clé sous la porte, l’enseignement scolaire ne nous encourage pas à aller plus loin. Même si certes, nous pourrions aller de nous-même au musée, nous pourrions de nous-même lire les grands classiques, je crois que l’on a besoin d’être poussé à un moment ou à un autre, que ce soit par notre famille ou nos amis. Et comme je le disais précédemment : ça devient de plus en plus compliqué !
Merci pour ton commentaire qui, comme souvent, donne à réfléchir. 🙂 Internet est en effet un moyen de se faire écouter, mais je pense que dans une discussion, dans la vie de tous les jours, ça peut marcher aussi. (Quand j’ai la chance de jouer au théâtre, parfois, je me dis aussi que c’est le meilleur moyen de transmettre quelque chose – j’espère que ma pièce permettra, elle aussi, d’attiser la curiosité des spectateurs, je l’ai écrite en ce sens en tout cas!)
Je suis d’accord avec le fait qu’on ne nous aide pas : ce que tu dis sur le budget alloué à la culture est vrai, les festivals et l’enseignement aussi. Ce qui me fait souvent dire que se placer du côté de l’art devient un véritable sacerdoce de nos jours !
Et oui, nous avons besoin d’être poussés, bien sûr. En ce qui me concerne, c’est à ça que servent les modèles. (Donc je prône plus de Tom Hiddleston parce qu’un seul pour prôner toutes ces valeurs, citer Shakespeare à tout bout de champs et régulièrement montrer ses lectures sur fb, ça ne suffit pas.) J’ai plusieurs figures comme ça qui me servent d’exemples, et j’essaie de m’inspirer d’elles pour, à mon tour, transmettre et proposer des choses. Si on n’a pas la chance de pouvoir échanger irl à propos de livres et d’art, alors je pense que c’est à nous d’initier nos amis, de les encourager. Ils vont ensuite chercher d’eux mêmes, et dans tous les cas, des conversations et des échanges se créent. 🙂
[…] « L’art et la culture peuvent changer le monde […]
[…] chacun d’agir pour faire changer les choses. J’en avais déjà touché un mot ici, et je vous renvoie à l’excellent billet publié sur Rue 89 à propos de la tendance […]